ce qui fait la photo, c'est le texte
Brève Vidéo

ce qui fait la photo, c'est le texte

"La Finlande pourrait paralyser l'aide aux pays en difficulté", nous annonçait hier lefigaro.fr :

Et le chapô de préciser :

"Alors que les rumeurs vont bon train sur une restructuration prochaine des dettes des pays en difficultés, notamment la Grèce, les eurosceptiques finlandais veulent se désolidariser du plan de sauvetage."

Un chapô qui fait office de légende à la photo, donc. Qui nous dit à demi-mot que l'eurosceptique finlandais, c'est le gars en bleu qui adresse de sévères paroles accompagnées d'un vigoureux signe de dénégation aux gars en gris qui sont à sa droite et derrière lui, qui le pressent, qui représentent les pays "en difficulté" et plus particulièrement les Grecs :

« Si ça continue comme ça, les mecs, moi j'me désolidarise du plan de sauvetage, hein ! Nanmèhô. »

Évidemment, ce n'est pas du tout le propos de cette photo qui a été prise le 8 avril 2011 à la bourse de New York, par Richard Drew (c'est lui qui prit cette terrible photo d'un homme se jetant du World Trade Center lors de l'attentat du 11 septembre).

Point de Finlandais, point de Grecs, point de dette européenne dans ce cliché, rien que des courtiers en bourse new-yorkais en train de faire leur djobe.

On peut tout faire dire ou presque, à une photo. Car ce qui fait la photo, ce n'est pas seulement l'image mais aussi et surtout la légende qui l'accompagne. Ainsi, ce cliché de courtiers passe-partout a-t-il servi, aux Zétazunis, à illustrer trois articles différents relatifs à trois journées boursières différentes.

 

Le 8 avril 2011 :

 

Le 13 avril 2011 :

 

Le 18 avril 2011 :

 

À mille lieues du marché boursier amerlocain, lefigaro.fr a utilisé cette image pour nous parler de tout autre chose, de la dette des pays européens en difficulté. Nous prouvant par là qu'une photo peut être convoquée pour n'importe quoi et son contraire.

Le cinéaste Chris Marker avait démontré cette vacuité insoupçonnée de l'image dans Lettre de Sibérie (1958) où il colla trois commentaires radicalement différents accompagnés de trois bandes-son différentes sur quatre plans identiques, présentés dans le même ordre :

Lettre de Sibérie de Chris Marker, 1958

Plus tard, en 1973, René Viénet, ancien situationniste, avait modifié les dialogues d'un film de kung-fu de Doo Kwang Gee intitulé The Crush, La Cohue. Cette martiale bobine avait été rebaptisée La dialectique peut-elle casser des briques ?, son texte introductif enfonce le clou ici planté :

"Qu'on se le dise : tous les films peuvent être détournés. Tous les navets, les Varda, les Pasolini, les Caillac, les Godard, les Bergman mais aussi les bons ouesternes spaghetti et tous les films publicitaires."

Extrait :

« Ça, ça veut dire qu'ils vont encore boire la sueur des prolétaires
jusqu'à la lie et qu'ils vont envoyer nos enfants à l'école.
On en a ras-le-bol de ces charognes. Les bureaucrates commencent par nous exploiter,
et ils finissent par nous aliéner. "Servir le peuple", ils appellent ça. »

La dialectique peut-elle casser des briques est visible en intégralité par ici.

 Ami(e) lecteur(trice), prends-toi à ton tour pour les excellllents Chris Marker ou René Viénet et colle tes propres légendes sous la photo des boursiers étazuniens. Voici quelques exemples stupides, afin de t'encourager au détournement d'images qui ne demandent que ça :

« Nan les gars, je ne vous prêterai pas mon iPad, c'est hors de question ! »

« Bon, vous arrêtez de jouer avec la télécommande, maintenant, d'accord ? »

« Mais puisque je vous dis que je ne suis pas Bruno Masure ! »

 

L'occasion de lire ma chronique intitulée L'homme de Gaza, revenu d'entre les morts à propos du réalisme de la photo de reportage et de sa tendance esthétisante qui tend à neutraliser l'émotion.

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