Migrants/Evasion fiscale : "On utilise les médias comme porte-voix"

Arrêt sur images

Notre émission avec Cédric Herrou et Jon Palais

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Mettre en images attrayantes et ludiques la lutte contre l’évasion fiscale n’était pas une chose a priori évidente, et pourtant le pari a été tenu avec des accessoires rudimentaires : quelques chaises. Fournir des images à l’impératif moral d’un accueil humain des migrants est a priori plus facile, sauf que cela risque de vous amener devant les tribunaux. Qu'en pensent les deux auteurs de ces deux images de la désobéissance civile ? Réponse avec Jon Palais, militant de l’association basque Bizi ! et faucheur de chaises, et Cédric Herrou, agriculteur qui aide les migrants dans la vallée de la Roya.

Coulisses de l’émission, par Anne-Sophie Jacques

Trois. Deux. Un. A six heures ce matin, il ne restait qu’un seul invité sur notre plateau du jour. A l’aube, un message de Cédric Herrou m’informait qu’il n’avait pu prendre le train de Breil-sur-Roya, son village, pour se rendre à Nice où l’attendait un TGV pour Paris. L’agriculteur qui vient en aide aux migrants dans cette "vallée rebelle" – selon Libération – n’a pas vu le train passer. Panne de réveil ou cheminot zélé ? Pas question d’épiloguer : il a fallu trouver un plan B. Herrou a mis la main sur un ordinateur avec webcam et Skype chez une amie. Après deux ou trois tests, le "héros populaire" – selon le New York Times s’il vous plaît – pouvait être parmi nous et discuter avec notre deuxième invité, Jon Palais.

Si vous avez lu notre reportage à Dax lors de son procès du 9 janvier pour vol de chaises dans une agence de la banque BNP, vous connaissez déjà Palais et ses actions contre l’évasion fiscale. Et si vous le découvrez, oui oui, ce jeune homme et les militants de Bizi !, d’Attac, des Amis de la Terre ou encore d'Action non-violente COP21 s’emparent de chaises dans les banques pour mobiliser les citoyens à lutter contre ce fléau qui prive le budget des Etats européens de 1 000 milliards d’euros par an et semble peu préoccuper nos gouvernements. D’ailleurs, hormis Benoît Hamon qui a brièvement mis le sujet sur le tapis lors des débats à la primaire d’une partie de la gauche, on ne peut pas dire que l’évasion fiscale ait séduit les autres candidats à ladite primaire.

Pourquoi une chaise ? D’abord pour le geste, nous explique Palais : les banques nous prennent quelque chose, nous allons leur prendre nous aussi. Il fallait que ce soit un objet peu coûteux : avec des sacs de billets, ils auraient été davantage inquiétés. Et puis une chaise c’est populaire et ludique. On peut la passer de main en main. Elles ont d’ailleurs été accueillies chez le philosophe Edgar Morin ou le responsable d’Attac Thomas Coutrot avant d’être rendues aux forces de l’ordre lors du procès de Jérôme Cahuzac. Bonne nouvelle pour Palais lundi : il a été finalement relaxé, sans trop de surprise car la relaxe avait était demandée par le procureur de Dax. Le militant était de passage à Paris et a immédiatement accepté notre invitation. Mais initialement nous avions un troisième invité. Ou plutôt une invitée : Sabrina Ali Benali. Là encore, ô abonné fidèle, vous avez peut-être suivi ses démêlés avec France Inter la semaine dernière.

La jeune interne, qui s’est fait connaitre par des vidéos aux millions de vues en dénonçant les conditions de travail à l’hôpital, a été dénigrée d’abord par Patrick Cohen puis par le médiateur de la station de radio. Tous deux ont assuré qu’elle avait menti – laissant croire aux auditeurs qu’elle n’était par une vraie interne, seulement une employée de l’hôpital privé, et pas dans un service d’urgence comme elle le déclame dans ses vidéos. Or c’est faux. L’interne est une vraie interne rémunérée par l’AP-HP (Assistance Publique- Hôpitaux de Paris).

Ce qui les réunissait tous les trois ? Leur engagement pour dénoncer les dysfonctionnements de notre démocratie et l’utilisation des médias pour amplifier leur combat. Pour autant, leur mode opératoire est aussi efficace que différent : quand Herrou choisit la discrétion pour accueillir les migrants, juste parce qu’il a envie d’aider les gens, Palais se sert de la machine politico-médiatico-judiciaire pour faire avancer sa cause. Quant à Sabrina Ali Benali, elle s’est emparée de la force de frappe des réseaux sociaux pour alerter sur le manque de personnel hospitalier. Mais pas de chance : l’interne a dû renoncer à notre invitation pour remplacer sa collègue malade.

Deux invités donc et un pari réussi : laisser parler dans la longueur deux citoyens qui ont délibérément choisi de désobéir… même si le terme de désobéissance civile fait débat entre eux. Palais le revendique, tout comme il revendique l’action non-violente pour s’attirer la sympathie des gens, tandis que Herrou préfère le nuancer : ce sont les politiques qui désobéissent à nos valeurs, dit-il. Lui demande à vivre dans un monde plus juste où on ne laisse pas les migrants venus du Soudan ou d’Erythrée (et à quel prix) pour mourir sur nos frontières. Un monde où on accueille, où on soigne, où on aide son prochain, qu’il soit noir ou blanc. En cela, il ne sent pas désobéissant.


Vous pouvez aussi utiliser le découpage en actes.

Si la lecture des vidéos est saccadée, reportez-vous à nos conseils.

Acte 1

Retour sur une première image signée France 3 où Cédric Herrou emmène deux enfants migrants arrêtés par les militaires de l’opération sentinelle dans la vallée de la Roya qui n’ont pas le droit d’agir sans les officiers de la police judicaire. Les mineurs ont ensuite été pris en charge par l’aide sociale à l’enfance. La présence des médias évite la violence, comme dans le centre d’accueil improvisé pour migrants établi par La Roya citoyenne, RESF, Médecins du monde, la Cimade… Un squat qui a valu à Herrou d’être arrêté et poursuivi même si l’hostilité du procureur de Nice Jean-Michel Prêtre, sous l’impulsion du président de la région Paca Christian Estrosi et du président du département des Alpes-Maritimes Eric Ciotti, a débuté avec l’article du New York Times du 4 octobre.

Acte 2

L’emprunt de chaises dans les banques permet de délivrer un message simple sur un sujet technique, l’évasion fiscale, explique Jon Palais. Une démarche provocatrice dans la lignée de la désobéissance civile. Pour Herrou, ce sont les politiques qui désobéissent aux valeurs. Une plainte a d’ailleurs été déposée car le département des Alpes-Maritimes ne prend pas en charge les enfants mineurs isolés comme l’exige la loi. Pourquoi Ciotti l’accuse de franchir la frontière avec les migrants? L’agriculteur explique que, de retour de Nice, il est obligé de passer par l’Italie pour retourner dans sa vallée. Pour Palais, on désobéit face à une situation injuste, comme l’évasion fiscale organisée par La Société générale, le Crédit agricole et la BNP. Cette dernière a fini par fermer ses filiales dans les Iles Caïmans.

Acte 3

Herrou dit recevoir de nombreuses menaces de mort de la part d’électeurs du Front national. Il avoue avoir changé son regard sur les gendarmes, conscients du problème. Pour autant, trente garde-mobiles (des CRS) ont débarqué chez lui tandis qu’il était en garde-à-vue la semaine dernière. Ils ont pris trois gamins armes au poing. L’agriculteur rappelle qu’avant de devenir candidat, Manuels Valls a nommé le préfet Georges-François pour se débarrasser de la problématique de la frontière italienne sous prétexte de lutter contre le terrorisme, comme le rappelle Ciotti. Herrou, élu azuréen de l’année par les lecteurs de Nice-Matin, dit faire de la politique citoyenne.


Acte 4

Herrou et Palais ont été accusés par le procureur de Nice pour l’un et le procureur de Dax pour l’autre d’instrumentaliser leur procès pour en faire une tribune politique. Pour Palais, le procès est l’étape ultime d’un processus absurde. Le procès est un outil, admet Herrou. Quant à son intervention face à Valls dans L’émission politique sur France 2, il émet un regret: celui de ne pas être parti parce qu’avec les politiques, on ne peut pas discuter. Ils utilisent la migration à des fins populistes et électoralistes – quand bien même Arnaud Montebourg, Jean-Luc Mélenchon et Pierre Laurent lui ont ouvertement apporté leur soutien. Est-il contre les frontières, dans la mouvance des No borders? Tuer des gens avec des frontières, c’est inacceptable dit-il. C’est aux politiques d’assumer les conséquences.

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