2016 : Ruffin, Lordon et "Merci Patron"

Arrêt sur images

C'était le Ruffin d'avant l'Assemblée nationale et les interviews rageuses du député LFI au micro des matinales, le Ruffin de Fakir, le Ruffin pré-Nuit debout, le Ruffin façon Michael Moore : bref, le Ruffin de "Merci Patron", cette "comédie documentaire"(...)

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C'était le Ruffin d'avant l'Assemblée nationale et les interviews rageuses du député LFI au micro des matinales, le Ruffin de Fakir, le Ruffin pré-Nuit debout, le Ruffin façon Michael Moore : bref, le Ruffin de "Merci Patron", cette "comédie documentaire" drôle et salutaire sur un couple d'ouvriers du Nord au chômage depuis la délocalisation en Pologne de leur usine textile possédée par un sous-traitant de LVMH. Pour lui porter la contradiction, la journaliste Anne-Sophie Jacques avait tenté d'inviter plusieurs communicants de grands patrons, sans succès. L'autre invité de cette émission collector est donc... l'économiste Frédéric Lordon, l'autre future voix de Nuit Debout - et on a donc du renoncer au débat contradictoire. Une émission collector qui fait du bien en ce difficile 24 décembre 2020. Joyeux Noël !

Un film qui ridiculise Bernard Arnault, l’homme le plus riche de France, patron de presse et puissant annonceur des médias qu’il ne possède pas ? Eh oui, c’est possible. Le film s’appelle Merci patron et sort en salle le 24 février après une tournée d’avant-premières dans une quarantaine de salles en France. Pour discuter de cet ovni cinématographique, nous avons invité son réalisateur et principal interprète François Ruffin, par ailleurs patron du journal Fakir, ainsi que l’économiste Frédéric Lordon qui esquisse les prolongements politiques à donner au film.

Coulisses de l’émission, par Anne-Sophie Jacques

C’est simple : on a adoré le film Merci patron. D’abord parce qu’il permet, enfin, de sortir des sujets post-attentats sur la laïcité, la déchéance de nationalité, la sécurité, le djihadisme, j’en passe et des meilleurs. Certes, on reste dans le champ des capitaines-d’industrie-patrons-de-presse-tout-puissant mais au moins ça nous change de Vincent Bolloré. Mais surtout ce film permet d’aborder ici un sujet qui nous tient à cœur : les vrais gens.

On a adoré et on ne s’en cache pas sur le plateau où l’on prend plaisir à écouter son réalisateur François Ruffin et par ailleurs rédacteur en chef du journal Fakir – "le groupe Fakir" corrige Frédéric Lordon. On jubile de le voir ébranler Bernard Arnault, première fortune de France, patron du groupe LVHM, propriétaire des Echos et du Parisien, gros annonceur et à ce titre capable de faire la pluie et le beau temps dans les médias qu’il ne possède pas. Dernière illustration ? Nous avons appris deux heures avant l’émission que la venue de Ruffin au micro de Frédéric Taddeï dans son émission "Europe 1 social club" prévue mardi prochain avait été annulée par la direction. Lagardère protège Arnault.

Ce film est un moustique qui agace l’éléphant. Un moustique né au milieu des betteraves de Picardie, qui fait frémir l’un des responsables de la sécurité du groupe. Ce personnage tout droit sorti d’un film d’Audiard avoue sans fard devant la caméra (certes cachée) que Fakir est sa bête noire. A chaque fois, raconte Ruffin, cette scène déclenche les fous rires dans la salle. Pourquoi rit-on ? Parce qu’on se dit que les Arnault et autres milliardaires ne sont pas aussi forts et que nous ne sommes pas aussi faibles que nous le pensons. Mais tout de même : pourquoi avoir peur d’un moustique ? Lordon avance deux hypothèses : les médias mainstream se sont couchés depuis belle lurette – LVMH n’a plus rien à craindre de ce côté-là. De même, il est possible que cette oligarchie subodore un ras-le-bol des exploités. Et de citer le capital-risqueur Nicolas J. Hanauer : "les fourches arrivent... et elles sont pour nous".

Ruffin et Lordon ? C’est sûr, vous n’entendrez pas de contradictions. Ils sont d’accord sur tout. Les deux se connaissent depuis 2005, apprend-on sur le plateau. L’économiste croise le journaliste dans feue l'émission Là-bas si j’y suis sur France Inter à l’époque du référendum sur le traité constitutionnel. Ce jour-là Ruffin tente de se faire passer pour le commissaire européen Frits Bolkestein – auteur d’une directive visant à raboter les services publics. Accent grotesque, histoire bouffonne : le Ruffin amateur de déguisement et de canulars était déjà né. Parmi ses inspirateurs : Michaël Moore, réalisateur de Roger et moi, un film qu’il a vu "au moins vingt fois", mais aussi Jean-Yves Lafesse.

Ruffin se présente comme l’un des plus grands connaisseurs d’Arnault. Il a tout lu sur lui. Un jour, explique-t-il, il a fait le parallèle entre la misère dans sa région picarde et celle du Nord – régions touchées par les fermetures d’usines décidées par Arnault – et les images sur papier glacé qui exposaient le bonheur de la plus grosse fortune de France. Son film répond à son envie de montrer que l’ascension de l’un s’est faite au détriment de milliers – de millions ? – d’autres. Mais son envie première est surtout de réconcilier petits et moyens bourgeois, dont il fait partie, avec la classe ouvrière et celle des employés – soit la moitié des Français précise Lordon. C’est cette réconciliation qui nous permettra, selon lui, de sortir de la torpeur dans laquelle nous nous trouvons. La réponse politique n’est pas dans les institutions que nous connaissons, ajoute Lordon lorsque nous quittons le plateau. Avant de se rendre compte qu’il a oublié d’annoncer prendant l'émission le rendez-vous de mardi prochain, le 23 février, à la Bourse du travail à Paris pour élaborer un plan d’actions.

Une émission consensuelle donc. Pourtant nous avons cherché des points de vue opposés – c’est-à-dire du côté des grandes entreprises. Pour tenter de comprendre, du point de vue de l'éléphant, pourquoi donc le pachyderme craignait le moustique, j’ai appelé cinq communicants connus pour leur franchise. J’ai discuté avec trois d’entre eux après leur avoir résumé le film, qu’ils n’avaient pas vu. L’un ne comprenait pas où se trouvait le ridicule : Arnault aide une famille dans la poisse ? Tant mieux, c’est donc qu’il a un cœur. Un autre n’avait pas envie de passer pour le méchant et faire le punching-ball sur le plateau. Le dernier trouvait ahurissant que LVMH envoie un responsable de la sécurité et non un avocat. Limite : le piège dans lequel ils étaient tombés était bien fait pour eux. Bref. Pas vraiment matière à une contradiction.

On a bien pensé à Dominique Seux, directeur délégué de la rédaction des Echos (propriété d’Arnault, je le répète) et chroniqueur sur France Inter qui fut le héros d’un des billets du matinaute cette semaine. Mais on ne se faisait aucune illusion. Dommage, sourit Ruffin qui aurait adoré débattre avec lui. D’ailleurs, pendant l’émission, il avance que son personnage, dans le film, est un mélange de Candide et de Seux. Hébétude sur le plateau. Oui, explique-t-il, je m’adresse aux gens comme dans ses chroniques à la radio. Je leur demande : mais vous en cherchez au moins du boulot ? Vous ne dites pas merci à Bernard Arnault ? But de l'opération : montrer les visages de cette classe ouvrière laissée sur le carreau. Mais aussi la venger. Montrer qu’elle a les crocs. Pas forcément aussi aiguisés que ceux du pittbull Ruffin (selon son expression) mais méfions-nous.

Acte 1

François Ruffin connaît par cœur le patron de LVMH : il a lu son livre La passion créative, ses interviews à Paris Match, la bio d’Airy Routier, L'ange exterminateur mais aussi rencontré les anciens salariés de Boussac Frères ou ECCE, usines liquidées par Bernard Arnault soucieux de garder seulement Dior. On apprend également que son producteur Mille et Une – qui a produit Le cauchemar de Darwin – n’a reçu aucune aide du CNC, pour la première fois de sa carrière.

Acte 2

Parmi les inspirateurs de Ruffin(outre Lafesse et Raphaël Mezrahi) : Mickaël Moore et son premier film Roger et moi consacré aux conséquences des suppressions d’emploi dans les années 80 dans le Michigan suite aux délocalisations des usines de General Motors. Son personnage s’est aussi inspiré de Candide… et de Dominique Seux, chroniqueur à France Inter et journaliste des Echos, journal qui appartient à LVMH.

Acte 3

Si le début de Merci patron emprunte des procédés à Moore – lors de la visite au siège de LVMH en Belgique ou d’une AG du groupe, un peu à la manière d’Elise Lucet de Cash Investigations – le film bascule avec l’intervention d’un responsable de la sécurité du groupe qui, alors qu’il est filmé en caméra cachée, dit être terrorisé par Fakir (et non par Mélenchon, Hollande ou Le Monde). Pour Frédéric Lordon, les puissants n’ont rien à redouter des médias mainstream. Mais peut-être sont-ils saisis de scrupules?

Acte 4

Lordon assure qu’il y a une prolifération de révoltes: les Goodyear condamnés à de la prison, Notre-Dame-des-Landes, l’état d’urgence, la réforme des collèges, le futur projet de loi El Khomri sur le droit du travail… autant de colères capable de mettre le feu à une société-poudrière. Ruffin souhaite éduquer la petite bourgeoisie en leur montrant le visage des Klur, le couple du Nord héros du film, pour prendre conscience de ce qu’on a fait subir à la classe ouvrière.

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