Charlie, deux jours après [AVENT 2020]

Arrêt sur images

Le 9 janvier 2015, nos chroniqueurs exploraient "l'après-Charlie"

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Daniel est encore plus ébouriffé que d’habitude. Autour de la table, blêmes, les chroniqueurs d’alors d’Arrêt sur images : le journaliste Jean-Marc Manach, l'illustrateur Alain Korkos, l’humoriste Didier Porte ; et aussi Judith Bernard, la patronne de l’émission Hors-Série. L’enregistrement a lieu le vendredi 9 janvier 2015, à midi, alors même que les frères Kouachi, retranchés dans une imprimerie de Seine-et-Marne, sont encerclés par la police. Le massacre de Charlie Hebdo s'est déroulé 48 heures plus tôt. Leurs premiers mots ? Didier Porte évoque le nazisme, puisque sont associés ici, dit-il, “une idéologie et une sauvagerie”. Alain Korkos raconte son Cabu, un “père de substitution" qu’il n' a jamais rencontré mais qui l’a guidé toute sa jeunesse. Jean-Marc Manach retient le son sec de la kalachnikov tel qu’il l’a entendu sur une vidéo, et ne peut croire à la disparition de l’économiste Bernard Maris. Judith Bernard mentionne le Cabu de son enfance, celui du club Dorothée ; elle se sent “orpheline de cette libre pensée”. Voir cette émission aujourd’hui, alors que se déroule le procès Charlie à Paris, et après l’assassinat de Samuel Paty, c’est observer une forme de décalage - Manach croit, en réaction, à un 'revival de la caricature’ ; le djihadisme est associé au prolétariat ghettoïsé, on verra dans les années suivantes que c’est un peu plus compliqué - mais aussi une finesse d’analyse. Comme lorsque Judith Bernard explique que la religion est devenue identité dans un monde sans repères, et que les caricaturistes de Charlie n'avaient pas forcément saisi cette mutation. A voir, donc.

Comment aborder l’après 7 janvier ? Deux jours après l’attentat dans les locaux de Charlie Hebdo qui a coûté la vie de douze personnes – dont Cabu, Wolinski, Charb, Tignous ou Bernard Maris – Judith Bernard, directrice de la publication d’Hors-série ainsi que Jean-Marc Manach, Alain Korkos et Didier Porte, chroniqueurs d’@si, reviennent ensemble sur l'événement, et sur ses suites. En famille.

Comment vous sentez-vous ? C’est la première question posée à nos quatre chroniqueurs qui se disent sidérés. Didier Porte a immédiatement fait le parallèle avec le nazisme tant l’acte du 7 janvier lui semble porté par une idéologie qui se traduit dans la sauvagerie. Une référence qui n’est pas venue à l’idée d’Alain Korkos, pour qui l'acte est totalement inexplicable. Alain revient sur ce que représentaient Cabu et son grand Duduche avec qui il a grandi comme il le racontait cette semaine dans cette chronique. Pour Porte, les dessinateurs de Charlie représentaient l’hédonisme, la joie de vivre et surtout l’esprit libre.

De son côté, Jean-Marc Manach, qui n’appréciait pas spécialement l’hebdomadaire et notamment Philippe Val, son ancien directeur, qu’il qualifie de "néo-con", assure avoir ressenti physiquement l’agression - et surtout le son des tirs entendus. "On a tué de grands enfants, à la Kalachnikov". Quant à Judith Bernard, pour qui Cabu est avant tout la figure tutélaire découverte dans les émissions de Dorothée, ce sont "des libres penseurs", "des joyeux drilles" et surtout une forme de liberté qui ont été assassinés. Elle fait le parallèle avec les chasses aux sorcières menées aux XV et XVIe siècles, dans lesquelles le discours religieux servait de prétexte à éliminer tous les individus qui ne se pliaient pas à une doctrine déterminée. "Une imposture", dit-elle, car la religion n’a rien à voir avec ces massacres.

Ecueil à éviter aujourd’hui, selon Judith : l’autocensure. Charlie Hebdo poursuivait le travail voltairien mais dans le contexte socio-économique aujourd’hui, ce travail devient peut-être maladroit. "Je ne dis pas qu’il ne faut pas le faire", précise-t-elle. Didier avoue qu’il va réfléchir à deux fois avant d’écrire ses billets, même si les blagues sur l’Islam n’ont jamais été sa tasse de thé. "Mourir pour des idées, rappelle-t-il, d’accord. Mais de mort lente". Cela dit, pas question non plus "de se déballonner complètement". Pour Jean-Marc, l’autocensure a déjà commencé. D’ailleurs, dans les journaux anglo-saxons, les couvertures de Charlie Hebdo ont été floutées.

Est-on en guerre ? Les agresseurs sont-ils nos ennemis comme l’écrivait Daniel dans une première chronique publiée à chaud mercredi ? Judith réfute le terme d’ennemi qui "n’est pas un mot de notre langue à nous". Des adversaires, oui. Mais pas des ennemis : "nous n’allons pas prendre les armes contre eux". Seulement nos crayons. Il faut répondre à leurs actes par plus de démocratie. "Et plus de pognon dans les banlieues", ajoute Didier qui estime que les agresseurs sont "des enfants perdus", programmés ou autoprogrammés dans une logique sectaire. Et que penser du rôle d'Internet une fois encore montré du doigt ? Jean-Marc est vent debout contre les discours qui pourraient laisser croire qu’Internet est le réservoir d’appel à la haine. "Internet n’est pas le problème", assure-t-il, au contraire, "c’est peut-être une partie de la solution" car on peut discuter – comme il l’a fait et raconté dans cette chronique – avec les djihadistes : "les gens qui se parlent ne se tirent pas dessus".

Etre ou ne pas être Charlie ? Pour Judith la question est complexe. Non elle n’est pas Charlie, car elle ne lisait pas l’hebdomadaire, mais elle est ce bout de Charlie qui défend la liberté d’expression. Si elle s’est rendue place de la République mercredi – un rassemblement silencieux comme un jour de neige – afin de faire du lien, elle a accepté l’autocollant Je suis Charlie à reculons. "C’est un slogan qu’on ne peut pas montrer partout "dit-elle, et notamment dans le 93 où elle travaille. Alain nous montre quelques couvertures de Charlie ou d’Hara-kiri, son ancêtre, pour qu’on recommence à rire. Et rire aussi des événements de mercredi. L’esprit Charlie ? "Ce serait de prendre le pognon" promis par tout un tas de généreux donateurs - voir ici ou - "et de partir avec en faisant un gros doigt d’honneur", suggère Didier.

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