Christine and the Queens : merci pour la bassesse, Pascal Praud
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chronique

Christine and the Queens : merci pour la bassesse, Pascal Praud

Une démonstration-maison (de plus) de l'indécence de "L'Heure des Pros"

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Qu'y a-t-il de plus fort qu'un argumentaire respectueux et robuste intellectuellement ? Un argumentaire irrespectueux et fondé sur des certitudes de charlatan. Car on en ressort doublement convaincu·e de la bassesse des thèses énoncées, avec, en supplément, encore plus envie de se battre pour leur pendant opposé. Alors on dit merci à Pascal Praud et son plateau pour ce moment dans L'Heure des Pros.

Ce lundi 3 juillet, il était question d'une vidéo TikTok publiée par Red (artiste également connu comme "Redcar", "Rahim", "Chris" et surtout, "Christine and the Queens", comme il se fait encore également appeler). Le chanteur raconte, les larmes aux yeux, sa souffrance lorsque certain·es le présentent publiquement comme une femme alors qu'il a annoncé publiquement sa transidentité. "Je suis un humain en société qui cherche à trouver sa vérité, qui ne s'est jamais senti femme depuis qu'il est né, résume-t-il. Vous m'appelez «elle» toutes les cinq minutes et ça me blesse en fait. Ça me blesse, en fait !" C'est, argue Red, "une façon de privilégier votre confort plutôt que mon bonheur. Une façon aussi de pas récompenser un travail d'honnêteté qui est horrible à faire en société" - celui du coming-out trans.

Admettre ses biais

"Écoutez ce passage, lance Praud, je trouve qu'il reflète tellement l'époque et ce qui fait que les gens comme moi qui sont nés dans les années soixante ont du mal à reconnaître parfois la France dans laquelle ils vivent aujourd'hui." Alors, oui : merci, Pascal Praud, d'avoir introduit le cri de souffrance de Red en soulignant d'emblée vos biais cognitifs. Tout le monde n'a pas le courage, comme vous, de reconnaître à quel point sa vision du monde est périmée, dépassée, avant même de la développer

Merci d'avoir laissé l'une de vos invitées, Élisabeth Lévy, pouffer de mépris rigolard à la mention de Christine and the Queens. Sans penser un instant ni au cadre totalement irrespectueux que cela forgeait d'emblée, ni au symbole qu'incarne ce ricanement : le précipice entre les éditorialistes télé et la société française, source de la haine grandissante envers les médias. Merci d'avoir ainsi tout dit des partis-pris de votre émission, et de l'espace de débat 100 % serein et bienveillant qu'elle permet. Merci, enfin, d'avoir lâché, en clôture de la prise de parole de Red, un très sincère et juste "je suis démuni", reconnaissant votre incapacité apparente à comprendre son propos. 

Merci à vous d'avoir aussi démontré illico presto que l'empathie que vous faites mine d'afficher collectivement pour Red n'était pas honnête. Évoquer sa "souffrance" avec la mine défaite, tout en parlant de lui comme une femme, tout en faisant comme si sa demande somme toute plutôt simple (et vitale pour beaucoup) d'être genré au masculin n'existait pas, dit tout de votre sentiment de supériorité au commun des mortel·les. De votre paternalisme. De votre refus de traiter les personnes avec respect. "Je compatis beaucoup avec cette dame parce qu'il y a une souffrance", ose l'un de vos invités, Driss Ghali. "Quel dommage, quel gâchis parce que derrière ce qu'elle dit, il y a une intelligence, tout de même, y a une intelligence et c'est complètement gâché", se permet Philippe Bilger. 

Peut-être pensiez-vous être ainsi plus sympathiques que les médias qui refusent de genrer le chanteur au masculin et emploient, eux, un ton moqueur, comme le Point ou l'Express ? Mais même le JDD, le Figaro, Paris MatchBFMTV et RTL (en employant tout de même le féminin pour parler de l'époque "Christine and the Queens" dans ce dernier cas) ont su s'adapter pour écrire ou dire "il". De même que Franceinfo, le Monde20 minutes, Gala, Voici, Marie-Claire, Ouest France, Courrier international

Corriger les fake news insultantes avec brio

Merci, surtout, de n'avoir rectifié que partiellement les commentaires outranciers et diablement faux de Driss Ghali. Là encore, on n'aurait pas trouvé meilleure idée pour montrer à quel point la posture transphobe est vide en sus d'être vile. En quoi elle repose sur des présupposés faux, datés et violents. Lui : "Comment voulez vous que Moktar ou Mamadou s'assimilent à une société où on ne distingue plus un homme d'une femme ? C'est vertigineux. Parce qu'on ne s'assimile pas à un asile d'aliénés. On s'assimile à une équipe de foot qui gagne. On ne s'assimile pas à une société qui respire cette maladie." Vous : "Je retire le mot que vous avez dit. Cette femme n'est pas une aliénée." Plus loin : "Je retire le mot que vous avez utilisé et que le modérateur que je suis ne peut acquiescer, parce qu'elle n'est pas aliénée.

Aucune réaction de votre part – ni de quiconque à l'écran – à la mention du terme "maladie" pour parler de transidentités. Alors que l'Organisation mondiale de la santé a supprimé la transidentité de la liste des maladies mentales et que l'Association américaine de psychiatrie, éditrice du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, établit que la non-conformité de genre n'est pas en soi un trouble mental. Aucun recul sur la terrible charge sémantique et historique de ce que l'on entend par "asile" (relisez Foucault ?). Sans parler du racisme éloquent du début de commentaire de votre invité, à base de misérabilisme et de clichés coloniaux. Mais lisez le sociologue Baptiste Coulmont dans le Monde, sur les sous-entendus insultants lorsqu'on désigne les "Mamadou".

Rien non plus sur la théorie de Driss Ghali (sociologiquement hyper robuste), selon laquelle le sentiment d'appartenance à une nation ou une société est fondée sur… le foot (Ernest Renan, si tu nous entends !). Non, vraiment : merci Pascal Praud. On aurait pu s'attendre à ce que vous maquilliez la méchanceté du propos en convoquant les références intellectuelles qui sont les vôtres – comme le ferait une Eugénie Bastié, érudite et formule 1 du débat dans sa catégorie, malgré tout. Mais non. Vous nous offrez ça sur un plateau de médiocrité journalistique. Chapeau !

De la cohérence avant tout

Merci, enfin, de court-circuiter vous-même vos "arguments". "Moi, dites-vous, je lui fais le reproche d'exprimer une souffrance alors qu'elle en a parlé" (sous-entendu, parlé de sa transidentité). Ainsi résumez-vous le propos de Red : "elle-même a parlé de ça donc forcément…" et "après elle reproche qu'on la réduise à ça." Vous formulez alors un petit conseil : "Elle pouvait ne pas en parler et elle pouvait simplement jouer une forme de secret là-dessus, pour ne parler que de son travail artistique et laisser une sorte d'ambiguïté pour qu'on ne lui en parle pas." Avez-vous seulement compris l'artiste ? Il ne demande pas à ce qu'on "ne lui en parle pas". Il demande juste que l'on respecte son identité. Tout simplement. 

On vous retranscrit la partie de son cri du cœur auquel vous faites référence : "Plus personne fait attention à ma musique puisque cette société, en fait, tout en étant très trans-médiatisée, elle est transphobe. Vous voyez ce que je veux dire ? On est mis en avant avec des gros titres bien gras – ce qui m'est arrivé quand j'étais jeune et que j'ai parlé de pansexualité – puis en fait, en vrai, on fait ça pour pas parler de notre travail, pour pas parler du propos, pour vider la démarche politique de l'intérieur, pour éviter que tout le monde se questionne sur ce système merdique, d'ailleurs." Après avoir redit à quel point se voir appeler "elle" le fait souffrir, Red poursuit : "Vous voulez quelqu'un qui pleure ? Ça fait du mal. Vous savez que je suis beaucoup moins médiatisé depuis que j'ai ouvert ma bouche sur ma transidentité en fait. Parce que je suis soit réduit à parler du queer, comme si j'étais un spécialiste, alors que je souffre, comme toute personne queer, de cette société qui n'arrive même pas à se questionner collectivement sur les violences patriarcales. Et en même temps tout ce que je suis en train de faire et qui est mon upgrade artistique, vous y faites même pas attention et vous m'appelez «elle»."

Que vous suggériez de garder le silence à quelqu'un qui demande à ce qu'on entende son message, si dur à passer dans cette société, est une aporie d'une rare qualité. On aurait voulu démontrer l'indécence de votre travail que l'on n'aurait pas fait mieux que tout ça. 


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