Réponse d'un "boeuf carotte" à Cash investigation
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Réponse d'un "boeuf carotte" à Cash investigation

Et invitation de Paul Moreira

Depuis le temps qu'ils en rêvaient ! L'équipe de Cash Investigation a donc pris les "boeufs carotte" (c'est nous) la main dans le sac du "mensonge".

Et c'est à propos de notre article sur leur enquête sur le lobby du tabac. Ils le disent à leur manière : dans un article au canon, qui raconte l'affaire à la Cash investigation, avec ce qu'il faut de "euh euh" pour bien montrer que @si est pris en flag (ils adorent, dans leurs émissions, montrer les méchants en train de bafouiller, ou de s'enfuir terrorisés. Ce texte est une intéressante transposition écrite de leur "écriture journalistique".)

D'ailleurs, non seulement, on fait "euh euh", mais on ne leur répond même pas au téléphone. Si en effet je n'ai pas répondu aux appels pressants de Laurent Richard, c'est pour plusieurs raisons d'inégale importance. Il m'arrive le week-end de me livrer à quelques tâches dont je vous épargne la description, d'une trivialité qui vous désolerait. Le week-end dernier précisément, mes rares neurones de permanence étaient mobilisés à rassembler mes idées sur une autre affaire. Enfin, sachant bien que toute conversation téléphonique avec le rédacteur en chef de Cash donnerait lieu à une exploitation, écrite ou audio, j'ai préféré échanger par écrit. Bref.

Venons directement aux griefs sérieux, et au premier : Anne-Sophie ne les a pas appelés avant publication. C'est vrai. Il faut expliquer pourquoi.

Dans les dernières années, nous avons à plusieurs reprises traité de Cash Investigation sur @si. A chaque fois que nous avons appelé leur boîte de prod, Premières lignes, pour demander des éclaircissement sur tel ou tel point, ou inviter Elise Lucet sur le plateau, nous nous sommes heurtés à un "no comment", formulé de manière très...Cash. Premières lignes n'a pas de comptes à rendre sur ses méthodes de travail. Seule exception, cette émission sur l'obsolescence programmée, pour laquelle une journaliste avait accepté notre invitation.

Alors oui, à la fin, on se lasse d'appeler le standard de la prod, pour s'entendre répondre qu'on n'a rien à nous dire. Et c'est un tort. On aurait dû. Rien que pouvoir écrire, une fois de plus, "la production de Cash investigation n'a pas donné suite à nos appels", comme par exemple ici.

De fait, entre nos deux équipes, je devrais dire entre Paul Moreira (patron et fondateur de Premières lignes) et moi, les relations sont compliquées par un contentieux ancien.

Il s'agit de l'affaire "L'encornet et Trottinette". Jeune journaliste fougueux au Vrai Journal de Karl Zéro, Moreira, en 1997, avait été un des premiers à s'emballer sur le livre affabulatoire de deux journalistes égarés, lesquels, par la bouche d'un "général retraité", accusaient (sans preuve et sans les nommer, mais en les désignant de manière transparente) deux éminents élus de droite du Sud, Jean-Claude Gaudin et François Léotard, d'avoir commandité l'assassinat de la députée FN du Var Yann Piat.

Les medias face à une info borderline, avant Internet. Moreira : "ce n'est pas la France, c'est le Var".

Evidemment, l'histoire s'effondra : l'accusation était portée sans aucune preuve. Alors chroniqueur au Monde, j'avais disséqué cet emballement. Le fougueux Moreira ne me l'a jamais pardonné. De mon côté, soyons franc, j'en ai gardé un réflexe de méfiance a priori, envers toute production journalistique de Moreira. Moreira, c'est le gars qui a été capable, un jour, d'accorder foi à un livre accusant deux personnes de meurtre, sans aucune preuve.

Le temps a passé. L'équipe de Moreira produit aujourd'hui Cash investigation, émission dans laquelle, à mon sens, on trouve le meilleur et le pire. Le meilleur : une pugnacité qui tranche avec le ronron habituel de la télé. Le pire : une volonté démonstrative pesante, qui laisse souvent penser que les conclusions ont été écrites avant même le début de l'enquête, et que l'équipe a choisi ses bons et ses méchants. Le scénario étant préécrit, l'émission doit ensuite entrer dans le schéma prédéfini.

Maintenant parlons du fond. Je vous conseille d'abord de relire notre article, incluant la mise à jour ajoutée en bas par Anne-Sophie.

Enquêtant sur le poids du lobby du tabac sur les institutions politiques (sujet ô combien légitime et nécessaire), Cash investigation croit avoir levé un lièvre : un deal entre les cigarettiers et l'UE. Les industriels cigarettiers versent de l'argent à l'UE, et à certains pays membres. Quelles en sont les contreparties ? Cash Investigation n'en sait rien. Mais soupçonne des contreparties inavouables, d'autant que ces accords comportent des annexes confidentielles. Confidentielles ? Ah ah. Preuve est faite, mon gaillard, les lobbies du tabac "tiennent" l'UE. Bien. Je demande à Anne-Sophie de vérifier si vraiment, comme le suggère l'émission, Bercy ne peut apporter aucune précision sur ces contrats et ces annexes. Après deux jours d'appels, Bercy répond à Anne-Sophie : cet argent est lui-même une contrepartie, exigée par l'UE, au trafic de cigarettes, qui n'est pas combattu assez fortement par les cigarettiers. Quant aux fameuses annexes, elles sont en ligne. Et Bercy nous donne le lien.

Ah. Ce serait seulement ça ? Apparemment oui. Le lièvre n'était donc qu'un bizarre petit lapin. Nous l'écrivons.

Là-dessus, fureur (attendue) de Laurent Richard, rédacteur en chef de l'émission. Qui tient à préciser deux points à Anne-Sophie. Certains cigarettiers ont versé de l'argent à l'UE de leur propre initiative. Et le journaliste de se demander pourquoi. Et ces accords comportent des annexes secrètes, autres que celles sur lesquelles Bercy a aiguillé Anne-Sophie. OK, c'était une lacune dans notre article, on le rajoute. Parallèlement, je rajoute aussi certains "selon Bercy" qui, en effet, manquaient dans l'article, pour bien prendre nos distances par rapport à la version de Bercy. Et pour faire le bon poids, parce qu'en effet nous ne voulons surtout pas prendre Bercy au mot, le titre de l'article passe du mode affirmatif au mode interrogatif.

C'était une erreur, la prochaine fois on appellera Laurent Richard, OK, mais sur le fond, que changent ces précisions ? Elles laissent certes un doute, mais ne prouvent rien. Ces sommes versées par les cigarettiers à l'UE, aux termes d'un deal en effet un peu étrange, ont une contrepartie apparente et plausible : le préjudice subi par l'UE du fait de la contrebande de cigarettes. Il y en a peut-être une autre, inavouable, peut-être en effet que le lobby du tabac "achète" l'UE et les gouvernements, mais à ce stade, nous n'en avons pas la preuve, et Laurent Richard non plus. Toute l'écriture de l'émission concourt pourtant à laisser croire à l'existence d'un deal inavouable.

Pourtant, si les annexes sont secrètes, c'est peut-être simplement, comme l'avance le président de l'OLAF, interrogé par Cash investigation, pour préserver le secret industriel sur certains aspects. Comme je l'explique à Laurent Richard dans un mail (qu'il ne reproduit pas dans son petit sketch "j'ai poursuivi Dany tout le samedi, et il m'a même pas répondu") : "il y a un tas de contrats confidentiels dans le monde des affaires, et c'est en effet pour des raisons de secret industriel". Eh oui. Par nature, les journalistes détestent le secret, ils en font de belles émissions avec plein de bafouillements dedans, mais il est parfois des secrets légitimes. Qu'une entreprise ne souhaite pas communiquer de données chiffrées trop précises à la concurrence, c'est légitime, même s'il s'agit d'un cigarettier.

Ce que j'explique ici, je le sais, sera difficile à comprendre pour certains de nos abonnés. Pourquoi donc chercher des poux à une émission d'investigation, alors que la presse française, dans son ensemble, souffre plutôt d'un défaut de curiosité, d'un manque d'investigations poussées ? C'est vrai. C'est paradoxal. C'est une impression de tirer contre son camp, légèrement inconfortable. Mais, diffusée depuis la rentrée en première partie de soirée sur France 2, Cash investigation est désormais une émission puissante, et crédible. Et la mission d'@si a toujours été, et doit rester, de s'attacher en priorité aux narrations médiatiques les plus crédibles (même et surtout si ce sont celles auxquelles nous avons spontanément envie d'adhérer).

Voilà toute l'affaire, Messieurs les jurés. On a fait un article incomplet, et trop catégorique dans sa première version, sur une enquête incomplète. On l'a complété après parution, ce qui arrive parfois, mais que j'aurais évidemment préféré éviter. A Cash investigation de pouvoir compléter maintenant sa propre enquête, c'est tout le mal qu'on leur souhaite. Comme je l'écrivais aussi à Laurent Richard, ici, à @si, nous déplorons autant que Cash investigation l'influence des lobbies sur les institutions publiques, à commencer par l'UE. Tout ce qui pourra être fait pour la dévoiler sera utile.

En attendant, et parce que ce débat doit se dérouler à ciel ouvert, je profite de l'occasion pour inviter Paul Moreira sur le plateau d'@si, pour débattre investigation et narrations médiatiques, quand il voudra, dans une de nos prochaines émissions, en mettant tout sur la table, et le reste. Chiche ?

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