Rocard, les medias et Le Point
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Rocard, les medias et Le Point

Rocard se méfiait des medias, rapportent les medias en boucle

, avec le ton détaché de rigueur, comme si l'affaire ne les concernait pas. D'abord, il faudrait nuancer cette méfiance. Dans ses années de lutte contre Mitterrand, avant 1981, Michel Rocard fut adoré des journalistes politiques. Pour toutes sortes de raisons bonnes et mauvaises. Parce qu'il était plus jeune, plus accessible, plus concret, plus neuf, plus sympa, moins partisan de l'alliance avec les communistes, et parce qu'à la différence de Mitterrand sur l'Algérie, il n'avait pas eu l'occasion de se salir les mains.

Et puis, le paysage médiatique changea. Vint un moment, impossible à cerner exactement, où ce n'étaient plus Joffrin, Giesbert et Colombani qui faisaient l'air du temps, mais les Guignols, et le dernier flash de France Info, avant BFMTV. Homme des phrases longues et des digressions à subordonnées, Rocard prit le maquis contre les simplifications médiatiques. Ayant vu sa pensée malmenée par une manchette du Figaro, il était venu nous en parler en 2008 (on a exhumé l'émission). Il faut relire son interview "testament" au Point (accessible uniquement sur abonnement, malheureusement ; je ne vais tout de même pas vous conseiller de vous abonner au Point). A chaque question ou presque, il  ramène tout au rôle des medias. A commencer par le Brexit. "A partir du milieu du XXe siècle, le développement d'une presse de caniveau sous l'influence de deux magnats étrangers, l'Australien Rupert Murdoch et le Canadien Conrad Black, a fait émerger la haine en libérant la presse de tout exigence de respect de l'autre".

A noter que les journalistes du Point, tétanisés par le vieux Sage, ne le poussent pas dans ses retranchements. Exemple."Le vrai signal de gauche consiste à donner à l'homme davantage de temps libre pour la culture, les choses de l'esprit, le bénévolat associatif", dit Rocard. Et quelques paragraphes plus loin, à propos du travail du dimanche : "les frondeurs exigent des politiques qui ont gardé le nom "gauche" dans leur patrimoine, qu'ils envoient des ordres politiques au marché, comme corriger les inégalités ou préserver le repos dominical. Mais le marché digère mal les signaux politiques non calibrés". Du temps libre, donc, sauf le dimanche ? A-t-on bien compris ? Tout le rocardisme est dans cette contradiction (cette "tension", diraient les rocardologues). Mais ses intervieweurs ne creusent pas.

Hérissé par les simplifications médiatiques, Rocard, jusqu'au dernier jour, aura pourtant été contraint, dans un étonnant rapport sado-maso, de composer avec elles. Ainsi, lisons le titre-choc du Point, "la gauche française est la plus rétrograde d'Europe". Voici, dans l'interview, le passage correspondant. Question : "Diriez-vous que la gauche française est le plus rétrograde d'Europe ?" Réponse : "Dans toute l'Europe, la gauche française est celle qui a été le plus marquée par le marxisme. Elle en porte les traces. On peut admettre que la pensée politique marxiste, ou ce qu'il en reste, est rétrograde". Maintenant, question à des étudiants de première année d'école de journalisme : le titre du Point est-il honnête ? Il parait (selon Le Point) que Rocard s'est déclaré "heureux" de "l'intégralité de l'interview". On ne saura jamais s'il avait aussi vu la manchette.

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