L'insurrection, et si elle était là ?
Le matinaute
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chronique

L'insurrection, et si elle était là ?

Un jour ou l'autre, on finit bien par rassembler quelques pièces du puzzle.

Ou commencer de les rassembler, former des bouts, des angles. Un jour ou l'autre, apparaissent alors des mots inattendus. A force qu'on l'attende, qu'on la prédise, qu'on l'espère, qu'on la redoute, l'insurrection, à force qu'on n'en finisse pas de se demander par où elle apparaitra, et si elle était là ? Si nous étions déjà en pleine insurrection ? Et si Merah, les Kouachi, les kamikazes du Bataclan et des terrasses, jusqu'aux agresseurs sexuels de Cologne, étaient les acteurs de ce qu'il faut bien appeler une insurrection ?

Vient un moment où il faut bien sauter par-dessus les décennies, rapprocher des épisodes apparemment disjoints. Ce sont de sacrées pièces, qu'ont rassemblées à tâtons, sur notre plateau, l'anthropologue Alain Bertho, et le sociologue Geoffroy de Lagasnerie. Il fallait entendre Lagasnerie se risquer, marchant sur des oeufs, à une analyse inédite des terrasses de centre-ville comme "un des lieux les plus intimidants qui soient, pour les jeunes des minorités ethniques. Un espace où on n'ose pas s'asseoir, où on n'est pas  bien accueilli, où on n'est pas servi, où quand on est servi c'est cher. Un des lieux les plus traumatisants". Conclusion (provisoire), s'agissant des mitrailleurs des terrasses : "Au fond, vous pouvez vous dire qu'ils ont plaqué des mots djihadistes sur une violence sociale qu'ils ont ressentie quand ils avaient seize ans". Et Bertho immédiatement, en écho, et dans un rapprochement tout aussi dérangeant, tout aussi insoutenable, de convoquer le souvenir des émeutes de banlieue de 2005, et surtout du mouvement étudiant anti-CPE de 2006, quand des "jeunes venus des cités sont venus casser la figure aux étudiants Quant on faisait ses études en 2006, on a quel âge en 2015, et on est où au soir du 13 novembre ? Notamment au Bataclan. Et quand on était émeutier, on a quel âge en 2015 ? Ce sont deux jeunesses françaises qui se sont affrontées. On retrouve des ondes de choc une dizaine d'années après".

Alors oui, qu'on se laisse aller un instant à ces rapprochements, à ces analyses, qu'on les accepte simplement dans le champ du débat, qu'on évacue l'intimidation inévitable -"mais enfin, vous êtes en train d'excuser les terroristes!"-  et ce mot de "terrorisme" apparait alors dans toute son inadéquation, toute son inefficacité, comme le souligne aussi Lagasnerie. Alors oui, apparait cette désignation alternative, une insurrection. Une insurrection qui, certes, ne serait pas celle dont on guettait ici les signes, ni ne ressemblerait à aucune de ses devancières. Qui ne serait localisée ni dans le temps, ni dans l'espace. Une insurrection multiforme, éparpillée, atomisée, sans doute largement inconsciente elle-même des cibles contre lesquelles elle s'insurge, et ultra-minoritaire évidemment (mais pas davantage que la révolution bolchevique en ses premiers jours).

Cette insurrection a ses mots d'ordre : des consignes de Daech claires, précises, et maintes fois réitérées. Une organisation centralisée lui est-elle vraiment nécessaire ? Au fond si toutes ses dernières cibles, rassemblées, formaient sens ? La liberté d'expression et la laïcité (Charlie), "l'art de vivre" des urbains aisés (Bataclan et terrasses), la tolérance sexuelle (Cologne) -et même, à Cologne, l'accueil des réfugiés, puisque c'est cette générosité allemande qui, en définitive, sera sans doute la grande vaincue de l'affaire. Sans oublier bien entendu la politique israélienne, devenue l'emblème maudit de l'oppression des peuples arabes, à travers la communauté juive française (Merah encore, et l'Hypercacher). Gardons-nous de conclure. Ce ne sont que des pièces d'un puzzle, qui a ses fausses pistes, ses voies sans issue, ses retours en arrière nécessaires. Comme tous les puzzles.

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