Totems de la résilience
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Totems de la résilience

C'est un père et son fils, place de la République, à Paris.

Ils parlent de pistolets, de fleurs et de bougies. Ils parlent des méchants, des très méchants, qui ne sont pas gentils. Ils sont accroupis par terre, le fils sur les genoux de son père. Ils parlent à un journaliste du Petit Journal. Ils se murmurent l'un à l'autre. Ils se rassurent l'un l'autre. On ne sait pas lequel rassure davantage lequel. Ils nous rassurent, aussi. Je ne vous raconte pas leur dialogue. Vous l'avez écouté en ligne, et si vous l'avez écouté, vous l'avez sans doute ré-écouté, pour savourer chaque réplique de cet échange, si construit dans sa spontanéité qu'on le croirait écrit. Ou bien vous l'avez vu dès lundi soir au Petit Journal. Ou bien découpé en tranches et soumis à une psy, mardi soir, toujours au Petit Journal.

C'est un homme qui a perdu la femme de sa vie au Bataclan. Antoine Leiris est journaliste à France Bleu. Il écrit aux terroristes : "vous n'aurez pas ma haine". Je ne vous lis pas sa lettre. Vous l'avez lue sur Facebook, où il l'a postée. Après être allé chercher à la crèche son fils de dix-sept mois, Melvil, désormais orphelin, et l'avoir couché pour la sieste, il s'est assis devant l'ordinateur, et le texte est venu. Peut-être aussi l'aurez-vous entendu sur France Info, raconter comment il l'a écrite, cette lettre.

C'est une septuagénaire élégante, et qui parle très bien. Elle est interrogée dans la rue par BFMTV. Ce pourrait, ce devrait être un micro-trottoir ordinaire. Mais en quelques phrases, Mamie Danielle devient une vedette de la Toile. Je ne vous raconte pas ce qu'elle dit, sur les cinq millions de musulmans "qui exercent leur religion paisiblement et gentiment", et les 10 000 Barbares "qui tuent soi-disant au nom d'Allah". Je ne vous raconte pas comment elle martèle "nous fraterniserons" et "nous nous battrons", avec une détermination égale pour les deux résolutions. Très vite, une collecte s'organise sur Twitter, pour lui offrir des fleurs. Vous l'avez vue en ligne. Ou bien le premier soir, sur BFMTV. Ou bien encore mardi soir, quand BFMTV est retournée la voir, chez elle, et que la Mamie de la rue, tout d'un coup, a gagné un nom de famille, Danièle Merian, avocate retraitée, militante féministe, militante aussi de l'Association des Chrétiens pour l'Abolition de la Torture.

Figures d'humanité surgies du chagrin collectif. Totems de la résilience. Icônes rassurantes, plebiscitées par la foule anonyme et désemparée. Pourquoi elles ? Deux pères, deux fils, une grand mère. Mamie Danielle, dont personne ne sait d'abord si elle est vraiment Mamie, comme le répètent en boucle les titres qui reprennent sa première video. Mais on la préfère Mamie, plutôt qu'avocate retraitée et militante. Dans l'appartement silencieux d'Antoine et Melvil Leiris, nous voici tous veillant la sieste du petit garçon qui ne sait rien encore. D'autres textes, d'autres adresses, moins familiaux, plus en colère, n'auront pas le même succès. Faire famille, comme après Charlie, comme après les deuils. Faire famille, dans l'apaisement éphémère des figures familières.

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