Plantu, migrant aussi...
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chronique

Plantu, migrant aussi...

D'abord le bon sourire du père de cette famille de migrants, sous le crayon de Plantu.

Un père replet, manifestement quinquagénaire, très différent des jeunes hommes efflanqués que nous montrent les photos, et les images télévisées. Enturbanné, aussi, comme les mollahs de Charlie Hebdo, alors que les mêmes images télévisées (mais peut-être sont-elles mensongères) ne nous montrent aucun enturbanné. Le personnage sourit. Ce n'est ni un mollah ni un djihadiste, c'est un "bon" enturbanné. A moins que ce sourire ne vise à tromper la vigilance du douanier ? Et la larme de sa femme, forcément voilée (mais pas trop) ? Sincère, ou bien trompeuse elle aussi, pour émouvoir le même personnage à tampon (et les caméras) ?

Le regard se pose ensuite sur l'ouvrier français (casquette, salopette, mine patibulaire) qui vient de prendre au collet un malingre personnage à lunettes, agrippé à un épais code du travail (universitaire ? fonctionnaire ? Aucun signe distinctif, sinon les lunettes, signe de faiblesse physique face à la force brutale du prolétaire). On imagine que l'ouvrier va lui faire passer un mauvais quart d'heure, à ce rat de bibliothèque. Puis on réalise que là non plus, la caricature de Plantu ne correspond pas à la réalité, telle que la narrent les medias du jour : dans cette narration-là, ce sont les ouvriers, les salariés, qui sont protégés par l'épais et archaïque code du travail, qu'il s'agit de moderniser, de dépoussiérer. En toute logique, si ses deux mains n'étaient pas occupées à malmener le binoclard, c'est l'ouvrier, qui devrait s'aggriper au code. Mais qu'un ouvrier, incarnation de la force brutale, puisse être attaché à des textes protecteurs, n'entre pas dans l'univers mental du dessinateur.

Bref, ce dessin, paru à la Une du Monde d'hier, et tweeté par Attac qui se demande s'il fait davantage le jeu du MEDEF, du FN, ou des deux, n'est pas seulement une caricature cumulant deux poncifs réacs (le migrant enturbanné, l'ouvrier brutal). Il décrit un univers plantuesque entièrement imaginaire, où les migrants s'apprêtent à prendre la place des ouvriers français, tous deux étant par ailleurs mieux nourris que les fonctionnaires français. Il ne dit pas le monde tel qu'il est. Il ne dit même pas Le Monde qui, le lendemain, va envoyer trente reporters rapporter images et récits de la crise des migrants, qui viseront à capturer partout des éclats de réel, à l'opposé des caricatures. Il ne dit rien d'autre qu'une trajectoire individuelle. Il dit, pour ceux qui suivent depuis toujours son travail, et l'ont longtemps aimé, la longue migration intérieure d'un dessinateur, qui à ses débuts, naïf qu'il était, et sans doute affamé lui-même, n'avait pas encore compris que "le Sud" est peuplé d'enturbannés replets, et sournois.

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