De la compétition des scandales
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De la compétition des scandales

Deux scandales, ce matin, se font concurrence.

Dassault achetait des voix à Corbeil. Le PDG d'Orange Richard a tenté de faire censurer un film . Dans les deux cas, pour ne pas risquer les foudres d'Aphatie, les deux medias apportent la preuve. Libé a eu accès à un listing d'électeurs de Corbeil, avec le détail des sommes versées. Mediapart met en ligne le savoureux message téléphonique du conseiller spécial Xavier Couture du PDG d'Orange, à la directrice de la filiale cinéma d'Orange, pour lui enjoindre de ne pas financer un film sur Saint-Laurent réputé déplaire à Pierre Bergé, dans le but de susciter la bienveillance du Monde sur Richard, malmené dans l'affaire Tapie.

Affiche du film Saint Laurent de Bertrand Bonello. Sortie initialement prévue en mai 2014, repoussée à octobre 2014 picto

Le système se jette sur le scoop Dassault, et se contrefiche du scoop Orange (à l'heure du matinaute, @si est le seul media à avoir repris Mediapart).

La compétition des indignations est rude, chaque matin. Mais tout de même, cette disproportion étonne. Quels sont les critères qui poussent un media à donner de l'écho à un scandale, plutôt qu'à un autre ? Outre bien entendu (ne l'oublions pas) que l'une est un délit pénal et pas l'autre, plusieurs critères peuvent jouer. Dabord, le principe menacé : dans un cas, la sincérité du suffrage universel ; dans l'autre, la liberté de création cinématographique. Un partout. Ensuite, par exemple, le pouvoir d'influence ou de nuisance des personnes ou institutions mises en cause. Dans un cas, une entreprise aéronautique possédant un journal : impact limité. Dans l'autre, le principal opérateur de télécoms français, ayant des intérêts dans de nombreux secteurs, et des partenariats, directs ou indirects, avec de nombreux medias, ainsi que l'actionnaire d'un journal (Le Monde) et bientôt d'un hebdo (L'Obs). A cet égard, il sera intéressant d'observer les reprises de l'Orangegate dans les medias des deux groupes, par exemple dans Télérama (groupe Le Monde), théoriquement intéressé au premier chef.

Il y a pourtant un critère, selon lequel l'affaire Orange devrait écraser l'affaire Dassault : ce que les deux scandales nous disent sur la société française d'aujourd'hui, au sens large. Et là, il n'y a pas photo. De l'affaire Dassault, impossible de conclure à l'existence d'un système généralisé d'achat de voix sur tout le territoire de la République. Dassault, c'est Dassault. Mais du scandale Orange, on peut tirer des conclusions autrement plus générales. Car Mediapart a poussé l'enquête au-delà du film sur Saint-Laurent. A propos du film de Mathieu Kassovitz, L'ordre et la morale, sur le drame de la grotte d'Ouvéa en Nouvelle-Calédonie, également co-produit par Orange, par exemple, Mediapart s'est procuré un compte-rendu du conseil d'administration d'Orange de 2011. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que les pontes n'étaient pas chauds pour financer un film sévère sur les politiques. "Gervais Pellissier (n° 2 d'Orange, NDR) commente le film de Mathieu Kassovitz L’Ordre et la moraleet précise qu’il ne souhaite pas que le groupe poursuive sur une ligne éditoriale de ce type. Il précise que les fonds qui nous sont confiés, par notre actionnaire principal, ne doivent pas servir à financer des films politiques et que nous devons rester mesurés quand il s’agit d’histoires récentes. Christine Albanel (ancienne "plume" de Chirac, ancienne ministre, et présidente du CA d'Orange, NDR) précise que ce film est sorti trop tôt par rapport aux faits et qu’il aurait été préférable d’attendre quelques années encore". On se demande souvent pourquoi le cinéma français est si timoré à s'emparer de la réalité politico-sociale d'aujourd'hui. Pourquoi, socialement, politiquement, il reste un sous-cinéma. Pour la première fois, nous tenons un "smoking gun". Et voici pourquoi, avant de longues décennies, vous ne verrez pas de film sur l'affaire Dassault, sur vos petits ou vos grands écrans.

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