"A propos, demande soudain la jeunesse, comment ça se passe, dans un pays en faillite ? On vend les habitants ? Qu'est-ce qui change, exactement ?" Désarroi de l'adulte surinformé, qui doit bien admettre son incapacité à peindre, concrètement, la situation d'un pays en faillite. Repli stratégique sur Google, mot clé Islande. Apparemment, dans la presse française, seul L'Express a éprouvé le besoin de se rendre à Reykjavik, pour explorer "concrètement" la situation de quasi-faillite d'un Etat. Surendettement, course en avant à la consommation, frénésie générale, et aujourd'hui chantiers gelés, licenciements massifs, incendies volontaires des magnifiques 4X4: le reportage de Jean-Michel Demetz est une édifiante lecture de vacances.

Avec la crise, des nouvelles attirent notre attention, qui en temps ordinaire nous laisseraient froid, comme elles laissent de marbre le système médiatique. "Standard and Poor"s dégrade la Lettonie", nous apprennent les agences de presse. Rien dans la nouvelle qui soit de nature à nous concerner. C'est bien moins croustillant que le combat de titans Aphatie-Guillon. Les 20 Heures, vous l'avez remarqué, n'en ont pas fait leurs titres (ils attendent les prochaines émeutes). Et pourtant, Standard and Poor's, c'est bien une de ces agences de notation, dont la responsabilité dans la crise financière a été soulignée par tous, y compris sur un de nos plateaux ? Oui. Elle continue donc imperturbablement de noter, comme avant, dans les mêmes conditions, hissant aux cieux ou précipitant aux enfers entreprises et pays ? Oui. C'est le système. Tant qu'on n'en a pas inventé un autre, c'est celui-là, qui expédie les catastrophes courantes. La Lettonie, c'est bien cet Etat, lui aussi menacé de faillite, comme l'Islande ? Oui. Elle est bien située en Europe ? Oui. Mais dormez tranquilles. Cela ne nous concerne nullement. Lettonie, Islande: de si petits pays !

De toutes manières, la France est à l'abri. Relisez par exemple une des phrases de l'article de L'Express, sus-cité: "En réalité, c'est un système congénital qui fait la preuve de ses carences. Liens d'amitié, parentèles, relations professionnelles: dans ce petit pays, les intérêts croisés de la politique, de l'économie, des médias se recoupent sans cesse. La femme du Premier ministre a siégé quelques mois au conseil d'une des holdings. Ces mêmes holdings qui étaient actionnaires des banques et restent propriétaires des principaux médias..." C'est bien de l'Islande, dont parle L'Express. De telles choses seraient inimaginables en France.