Comment l'amendement TVA a finalement été retoqué
Brève

Comment l'amendement TVA a finalement été retoqué

"Il ne faudra pas venir pleurer sur les décombres de la presse en ligne"

Caramba suite… et fin. Alors que les députés avaient adopté début décembre un amendement au projet de loi de finances rectificative 2015 en faveur de la presse en ligne, ils l’ont finalement retoqué hier soir dans l’hémicycle au terme d’un débat animé puis d’un scrutin public. Récit.

L’ambiance n’est pas folichonne quand reprend la séance à 21h30 sur la deuxième lecture du projet de loi de finances rectificative 2015. Effet collatéral d’un dîner trop lourd ? Un peu lasse, la présidente de séance appelle le secrétaire d’Etat au budget, Christian Eckert, "monsieur le gouvernement". Sourires dans l’hémicycle. Mais la soixantaine de députés présents se ragaillardissent pour l’examen de l’article 30 Quater concernant les sites de presse en ligne.

Comme en première lecture, deux amendements sont déposés, l’un porté par le socialiste Christian Paul, l’autre par l’écologiste Eva Sas. Tous deux souhaitent faire bénéficier rétroactivement de la TVA réduite les sites de presse en ligne – dont Mediapart, le groupe Indigo et @rrêt sur images. Le 4 décembre dernier, un amendement similaire a pourtant été voté. Un vote ric-rac mais un vote quand même. Alors pourquoi une deuxième lecture ? Parce que le Sénat, comme nous le racontions ici, l’a rejeté. Et que la Commission paritaire – où députés et sénateurs doivent trancher sur les amendements qui font objet de désaccord – n’a pas réussi à s’entendre sur cette question. Retour dans l’hémicycle donc.

Le député socialiste Christian Paul (vidéo complète ici)

Christian Paul commence bille en tête en évoquant "une grave et choquante injustice fiscale". Pour mémoire, en 2008, la loi française accordait à la presse écrite un taux de TVA super réduit de 2,1% tandis que la réglementation européenne estimait que les "services en ligne" relevaient du taux maximal – soit 19,6% en France à l'époque. Nous considérant comme un site de presse, nous avions donc appliqué le taux de TVA réduit. Un choix reconnu par l’Assemblée nationale qui a voté à l’unanimité en février 2014 l’harmonisation des taux quel que soit le support de presse. D’ailleurs, en 2009, la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet – qui donna naissance à Hadopi – évoque l’opportunité d’une fiscalité harmonisée. On peut considérer aujourd’hui que nous aurions donc dû bénéficier de ce taux dès le 12 juin 2009 – date d’adoption de la loi. C’est précisément ce que formulent les amendements de Paul et Sas.

"J’ai entendu parler d’amnistie fiscale" poursuit Paul qui réfute ce terme. "Il s’agit de réparer une injustice fiscale". Amnistie… ce mot est en effet dans la bouche des parlementaires Les Républicains (LR) mais aussi dans les dépêches AFP comme le rappelait notre matinaute. Or il ne peut y avoir amnistie puisque nos sites n'ont pas commis de délit. Paul n’a pas le temps de finir son exposé : les deux coups de petit bâton l’informent que son temps est écoulé.

La rapporteuse générale de la Commission des finances Valérie Rabault prend alors le micro. Surprise : si elle rappelle qu’elle est elle-même signataire de l’amendement porté par Paul – comme l’ancien premier ministre Jean-Marc Ayrault ou l’ancienne ministre de la culture Aurélie Filippetti, absents de l’hémicycle – Rabault assure qu’en seconde lecture, la Commission des finances s’est prononcée en défaveur de cet amendement. C’est ce qu’on appelle un revirement : en première lecture, l’amendement était soutenu par ladite Commission.

Le secrétaire d'Etat au budget Christian Eckert

Au tour du secrétaire d’Etat au budget de s’exprimer. Ce n’est pas un scoop : Eckert est contre. Selon lui, les sites de presse concernés "se sont mis volontairement en infraction". Il évoque des courriers du fisc datant de 2008 – et donc couverts par le secret fiscal – qui prouvent bien que l’administration avait à l’époque retoqué notre position (courriers dont, à @si, nous n'avons jamais eu connaissance). Autre argument : que faire des sites de presse qui ont appliqué le taux de TVA normal ? Les rembourser ? Impossible après 2012 car il y a prescription. Quand bien même, ajoute-t-il, que feraient ces sites d’un tel remboursement ? Ils rembourseraient leurs lecteurs qui ont payé une TVA plein pot ? Non. Ils garderaient cet argent qui s’apparenterait de fait à une aide de l’Etat.

"Il ne faudra pas venir pleurer sur les décombres de la presse en ligne" (christian paul)

Paul semble bouillir sur son fauteuil. Eckert lui demande de ne pas se fâcher. Le secrétaire d’Etat finit par rappeler qu’un des sites concernés par l’amendement, "pas le plus connu… encore que" dit-il, vient de perdre son procès contre l’administration fiscale. Le site "pas le plus connu… encore que", c’est nous. Et c’est d’ailleurs parce que nous avons perdu notre procès en première instance devant le tribunal administratif que nous avons sollicité un financement participatif pour pouvoir rembourser le fisc qui nous réclame 540 000 euros. A cette heure, près de 460 000 ont été récoltés. Manque la différence que vous pouvez combler sur Ulule pendant trois jours encore ou sur J’aime l’info sans date limite.

Peu après le discours du secrétaire d’Etat au budget, et juste avant que le socialiste vallsien Christophe Caresche annonce que le groupe socialiste ne soutient pas cet amendement, encore une surprise : le groupe Les républicains demande un vote par scrutin public. Ça sent le roussi. Le vote ne se fait plus à main levée pour les seuls parlementaires qui souhaitent voter mais via un boîtier électronique. L’ensemble de l’hémicycle est sommé de prendre part au vote. Le résultat est publié au Journal officiel en annexe du compte rendu de la séance et figure sur le site internet de l’Assemblée nationale. On connaît donc les noms des votants et leur prise de position. Ce mode de scrutin avait également été exigé lors du passage de l’amendement au Sénat… avec le résultat que vous connaissez.

La députée Les Républicains Marie-Christine Dalloz

Mais à ce stade de la discussion, rien n’est joué. Arrivent alors au micro les députés de droite et notamment Marie-Christine Dalloz (LR). Cette dernière s’étonne de constater que des sites se sont "auto-appliqués" un taux de TVA. "C’est assez nouveau" dit-elle avant d’ajouter que l’amendement serait "un encouragement" voire "une prime à la tricherie". Le mot est lancé. Paul tente le tout pour le tout dans une intervention à l’arraché. Il invoque deux motifs d'intérêt général : le principe d'égalité devant l'impôt – il est anormal que la presse traditionnelle soit avantagée vis-à-vis des sites en ligne – et la libre communication des pensées et des opinions qui est, selon l'article 11 des Droits de l'homme, est un des droits les plus précieux. Il finit avec cette mise en garde en cas de rejet de l'amendement : "il ne faudra pas venir pleurer sur les décombres de la presse en ligne". Après un quart d’heure de débat, on passe au vote. Résultat : 62 voix exprimées sur 63 présents. 22 pour. 40 contre. Amendement rejeté.

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