Richie : transgression et radicalité
Brève

Richie : transgression et radicalité

Richie est un bon petit livre, comme sait les trousser Raphaëlle Bacqué, du Monde

, sur l'ancien directeur de Sciences Po Paris, Richard Descoings. Richie était bipolaire. Richie était bisexuel. Richie dansa un soir à moitié nu sur les tables devant ses étudiants. Richie était marié à la numéro deux de Sciences Po, Nadia Marik, et vivait aussi avec le président de la SNCF, Guillaume Pepy. Le récit se lit évidemment sans dételer, en à peine plus de temps qu'un grand oral de l'ENA. C'est du Bacqué, c'est à dire ce que l'on fait de mieux, dans la sphère journalistique d'aujourd'ui, sur la pipolitique.

Et reviennent toujours les mêmes questions. Cette vie privée est-elle un sujet d'enquête légitime ? A priori, oui, si elle interfère avec les décisions publiques. Est-ce un sujet nécessaire, voire indispensable au débat démocratique ? A priori, non. Sauf à démontrer que la liaison Descoings-Pepy a eu des conséquences sur la gestion de Sciences Po, ou de la SNCF -et Bacqué ne démontre rien de tel-, cette intrusion dans la vie privée ne s'impose pas. Il est indiqué que la SNCF, à une ou deux occasions, a mis des wagons spéciaux à disposition de l'état-major de Sciences Po en partance pour un séminaire, mais rien n'indique que l'école n'ait pas payé la prestation.

Reste une justification, à laquelle Raphaëlle Bacqué elle-même n'avait sans doute pas pensé. Dans un billet ému et émouvant, Nicolas Colin lie la "radicalité" de Descoings, dans son comportement personnel et sa politique de dirigeant, à son expérience militante de jeunesse dans l'association AIDES, contre le SIDA. Même si la "radicalité" politique de l'ex-directeur reste à démontrer (en dehors de l'ouverture de l'école aux élèves des ZEP, quel bilan ?), admettons.

Faut-il pour autant faire du livre un geste journalistique hautement transgressif, sur un personnage qui serait lui-même l'incarnation de la Suprême Transgression ? Raphaëlle Bacqué raconte, dans une interview à Mathieu Magnaudeix, pour l'association des journalistes LGBT, que Pepy, à la mort de Descoings, a appelé les actionnaires de son journal, pour tenter d'empêcher toute allusion à leur relation. C'est possible. Et alors ? Si Bacqué avait alors souhaité "outer" la relation, aurait-elle été censurée ? Toute à son désir de se poser en incarnation de la Transgression Journalistique, Bacqué raconte aussi que Léa Salamé, l'invitant sur France Inter la semaine dernière, n'a pas osé prononcer elle-même le nom de Pepy. Sous-entendu : regardez comme je suis courageuse, par rapport à cette mauviette de Salamé. Peut-être. Mais Salamé a invité Bacqué. Huit longues minutes, à l'heure de la plus grande écoute. 99 auteurs sur 100 n'ont pas ce privilège. Et Salamé savait bien ce que Bacqué allait dire. Le replay de l'émission montre d'ailleurs comment elle lui tend la perche, pour prononcer le nom fatidique. Audace, ou joli ballet ?

Tout à ses descriptions vertigineuses des gouffres intimes de son personnage, Bacqué évacue en quelques lignes deux infos essentielles. Bien sûr, elle relate la dérive délirante des salaires et des primes de la direction de l'école, révélée peu de temps avant la mort de Descoings. Mais sans insister sur ce qui a rendu cette dérive possible : l'aveuglement de l'Etat, et notamment de la Cour des comptes, si sourcilleuse sur d'autres institutions dépensières, si négligente sur la chère école des élites. Au détour d'une page, elle rappelle ainsi que le magistrat de la Cour des comptes chargé de superviser les inspections de Sciences Po, Jean Picq, était par ailleurs chargé de cours à l'école (Mediapart l'avait révélé dès 2009), et en a même été salarié plus d'un an. Ce type de conflit d'intérêts est-il fréquent à la Cour des Comptes ? Un détour par ce repaire de "sages" aurait été utile.

En deux lignes, Bacqué rappelle aussi comment Descoings a retiré ses heures d'enseignement à l'économiste hétérodoxe Jacques Généreux, responsable du Parti de Gauche, pour faire de la place à DSK, alors favori de la présidentielle, qu'il souhait circonvenir. Deux lignes. Dommage. On aurait aimé connaître le ratio d'économistes mal-pensants à Sciences Po, par rapport aux orthodoxes. Le transgresseur Descoings a-t-il fait progresser cette proportion ? L'a-t-il faite régresser ? Jusqu'où s'etendent transgression et radicalisme. Le sujet n'est pas abordé. Pour un tome 2 ?

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