À lire en écoutant Sultans of Swing de Dire Straits.

En 1955, un universitaire nommé Peter Milne fut invité par la BBC pour commenter les résultats des législatives de deux circonscriptions de la région de Southampton. Afin d'éclaircir son discours, l'homme posa sur la table une boîte. À son sommet était fixée une aiguille, un balancier, qu'il poussait vers la gauche ou la droite pour représenter l'avancée des Travaillistes ou des Conservateurs. L'idée, peut-être inspirée par le pendule de Foucault, était simple, éminemment visuelle. Aussi fut-elle reprise lors des élections législatives de 1959 par un analyste politique nommé Sir David Butler qui s'en servit pour la soirée électorale de la BBC.

Plateau de la BBC, élections législatives de 1959,
basculomètre avec carte de la Grande-Bretagne

Le basculomètre de Sir David Butler fait un peu penser à un VU-mètre à l'envers :

Voici maintenant le plateau de la BBC pour les élections législatives de 1964, avec les pourcentages et le nombre de sièges disposés selon une formule mathématique mise au point par Sir David Butler :

Le même, aux élections législatives de 1966 :

Le 18 juin 1970, la soirée des élections est pour la première fois retransmise en couleurs :

Ce n'est pas la seule nouveauté car cette année-là, les Conservateurs remportent un nombre inattendu de sièges :

Tellement inattendu que vers minuit et demie, un accessoiriste nommé Alan Watson est réquisitionné avec sa palette, ses peintures et ses pinceaux pour compléter fissa le basculomètre vers la droite (on peut le voir en action dans cette vidéo, à partir de 4mn30) :

Astonichigne, izeunetite ?

Élections de février 1974 : on laisse tomber le basculomètre géant pour une version plus moderne avec le présentateur qui pousse une barre verticale :

L'objet rappelle un peu le compteur kilométrique de la Citroën GS, mise sur le marché en 1970 :

Mais le basculomètre classique n'est pas pour autant abandonné, car le présentateur de 1970 en a également un sur son bureau (au format similaire au tout premier, inventé en 1955) :

Élections de 1979 :

Dans les années 80, l'alliance des libéraux et des socio-démocrates (qui plus tard deviendra le Lib Dem) fait son entrée dans le jeu électoral. Fini le basculomètre gauche-droite, on passe à un tableau à colonnes :

C'est un basculomètre de haute volée qui revient pour les élections de 1992 :

Élections de 1997 :

Pour les élections de 2001, le basculomètre prend la forme d'un compteur de vitesse automobile issu d'un jeu vidéo :

En 2005 on redevient raisonnable :

En 2010 on retombe dans le n'importe quoi avec projection sur un fond vert et animateur jesticulant :

La visualisation des élections du 7 mai prochain sera nettement plus compliquée pour la BBC. Car encore une fois, il ne s'agit plus d'une lutte mettant aux prises deux partis mais une kyrielle : Conservateurs, Travaillistes, Lib Dem, Scottish National party, UKIP, Verts… Il y aura quatre basculomètres, disposés sur les quatre horloges d'un Big Ben virtuel :

Conservateurs / Travaillistes
Conservateurs / Lib Dem
Travaillistes / Lib Dem
et Scottish National party / Travaillistes, ce dernier ne concernant que l'Écosse (les Conservateurs, quantité négligeable au pays du kilt, n'auront droit à aucun basculomètre les opposant au Scottish National party).

Pour l'heure, Conservateurs et Travaillistes sont au coude-à-coude dans les sondages. En vérité, tout va se jouer avec les Écossais qui, probablement, vont massivement délaisser les Travaillistes en faveur du Scottish National party, se rachetant ainsi de leur frilosité lors du référendum pour l'indépendance de septembre dernier (un sondage Ipsos-Mori de ce jour accorde 58 à 59 sièges sur 59 au Scottish National party). Ce qui, à l'échelle nationale, empêchera les Travaillistes de s'approcher de la majorité absolue. Ils seront alors contraints de s'allier avec le Scottish National party. Qui acceptera… ou non.

Quoi qu'il en soit, on prévoit un tel raz-de-marée du parti écossais que le balancier du tout nouveau basculomètre Scottish National party / Travaillistes a été conçu de façon à couvrir une amplitude de 60% du demi-cercle. Alan Watson, accessoiriste réquisitionné aux premières heures du 19 juin 1970 avec ses peintures et ses pinceaux, peut dormir tranquille. Quant au commentateur chargé de jongler entre ces quatre basculomètres, souhaitons-lui bien du courage…

Avec la très indispensable complicité de Mrs Marple.


L'occasion de lire ma chronique intitulée Entre deux averses made in England.