L'affaire est tentaculaire. En 2008, un tribunal arbitral accorde à Bernard Tapie la somme record de 405 millions d'euros (dont 45 millions pour préjudice moral) dans le cadre du contentieux qui l'oppose au Crédit Lyonnais à propos de la vente d'Adidas survenue... en 1993 (tout notre dossier est ici). Dans le documentaire intitulé Tapie et la République, autopsie d'un scandale d'Etat, France 5 a réussi à rendre compte de la complexité de l'affaire avec pédagogie. Seule limite du doc, Tapie a refusé de répondre aux questions de Laurent Mauduit.
Alors pour surmonter cette difficulté, France 5 a eu recours à un procédé assez efficace : publier les SMS envoyés par Tapie à Mauduit ces dernières années. Une mise en scène qui permet d'avoir (un peu) la version de Tapie sur toutes les accusations.
Dans ces échanges, Tapie est à la fois menaçant et grinçant. Quand Mauduit lui demande la liste des journalistes que Tapie a accueillis sur son yacht, l'intéressé ironise en listant tous les journalistes d'investigation qui suivent son affaire : "E. Plenel, R. Lecadre, G. Davet, F. Lhomme, et peut-être L. Mauduit. Mais pour ce dernier, je n'en suis pas sûr car je pense qu'il serait tombé à l'eau accidentellement bien sûr. Mais si vous le connaissez dites lui que je l'invite avec son associé sur Reborn [son yacht]. Je ferai d'une pierre deux coups".
Quand Tapie apprend que la sentence arbitrale est annulée, il perd son flegme et accuse Mauduit : "Votre connerie n'a d'égale que votre haine à mon égard et qui vous aveugle. Une bonne psychothérapie et deux ou trois Valium par jour devraient vous soulager", écrit Tapie.
Des SMS qui apparaissent à l'écran, ou sont parfois lus par Laurent Mauduit :
L'apparition de ces échanges SMS est un procédé qui s'inspire des séries américaines, et dans le cas du docu de France 5, l'esthétique des textos est particulièrement proche de celle de la série House of Cards. La retranscription à l'écran des conversations par SMS entre le politicien Frank Underwood et la journaliste Zoe Barnes joue sur la relation de manipulation mutuelle de ce couple sans scrupule :
Mais pourquoi intégrer les messages directement dans la scène, et est-ce si nouveau ? Le blogueur américain Tony Zhou s'est posé la question dans une vidéo publiée sur Slate.fr. Il constate que depuis quatre ans, les messages apparaissent à l'écran instantanément, sans que les personnages n'aient à lire les messages "à haute voix comme des idiots". Cette technique a d'abord été exploitée dans des films et des animés japonais et sud-coréens - comme dans Digimon de Mamoru Hosoda. Elle est également reprise dans des films américains à succès, Kill Bill 1 de Quentin Tarantino (2003) ou encoreThe Social Network de David Fincher (2010). Le cinéma français y a recours, notamment dans Lol, de Lisa Azuelos (2012). Elle est popularisée par des séries comme Sherlock, diffusée sur la chaîne anglaise BBC One et Pretty Little Liars, une série américaine diffusée sur ABC Family, toutes deux depuis 2010.
Trois raisons pour expliquer cette nouvelle mode, selon le blogueur : c'est d'abord économiquement et esthétiquement plus abordable puisque la technique évite d'innombrables aller/retour entre deux plans (la personne et l'écran de son téléphone). Deuxièmement : la scène prend tout de suite un ton plus sérieux et dramatique. Troisièmement : les réalisateurs peuvent jouer avec les couleurs, les polices ou les animations.
L'occasion de revoir notre émission consacrée à cette série : "House of Cards : "on tue en politique, même en France"
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