La dame au cochon
Brève

La dame au cochon


"Ce qu’il y a de créatif, d’artistique chez Dominique Strauss-Kahn, de beau, appartient au cochon et non pas à l’homme. L’homme est affreux, le cochon est merveilleux même s’il est un cochon. (…) Et en même temps, le cochon est un être dégueulasse, incapable d’aucune forme de morale, de parole, de sociabilité. L’idéal du cochon, c’est la partouze" : voici résumée en quelques mots de Marcela Iacub (cités ce matin par Daniel Schneidermann dans une chronique intituléeLes chiens, les grizzlys, les cochons) l'idée qu'on se fait ordinairement du mâle en costume de cochon : un obsédé sexuel. Pauvre goret qui n'a rien demandé à personne et dont la moralité est au-dessus de tout soupçon !

Mais le cliché, l'idée préconçue remontent à loin et ne sont pas près de disparaître. Saint Clément d'Alexandrie (150-220 environ), l'un des premiers théoriciens du christianisme (qui puisa quelques préceptes chez Platon), enseignait dans ses Stromates que la viande de porc était réservée "à ceux qui vivent sensuellement". Car le porc, disait-il en citant Héraclite (dixit le Dictionnaire des symboles de Chevalier et Gheerbrant), "prend son plaisir dans la fange et le fumier".

Et voilà comme d'un coup d'un seul on associe les bains de boue que prend le cochon pour réguler sa température corporelle et éliminer ses parasites, à de la luxure.

Héraclite vécut de 544 à 504 avéjicé, environ. Il avait sûrement entendu parler d'Homère qui vécut de 800 à 740 avéjicé environ, et qui écrivit notamment L'Odyssée. Au chant X apparaît la déesse Circé. Laquelle fait avaler aux compagnons d'Ulysse un poison qui les transforme en cochons.

Circé et les compagnons d'Ulysse
par Briton rivière, XIXe siècle


Ulysse, préservé du poison par Hermès, se rend ensuite auprès de Circé qui constate l'inefficacité de son breuvage :

"Couchons-nous tous deux sur mon lit, afin que nous nous unissions, et que nous nous confiions l'un à l'autre", lui dit-elle alors. Et notre valeureux héros, de répondre :

"Ô Kirkè ! comment me demandes-tu d'être doux pour toi qui as changé, dans tes demeures, mes compagnons en porcs, et qui me retiens ici moi-même, m'invitant à monter sur ton lit, dans la chambre nuptiale, afin qu'étant nu, tu m'enlèves ma virilité ? Certes, je ne veux point monter sur ton lit, à moins que tu ne jures par un grand serment, ô Déesse, que tu ne me tendras aucune autre embûche."

Et re-hop ! voilà comment on associe le cochon à la virilité, à l'acte sexuel.

Cet épisode de Circé changeant les hommes en porcs a maintes fois été illustré par les peintres et graveurs, qui prirent souvent de larges libertés avec le texte homérique :

Ulysse et Circé, gravure sur bois anonyme, 1493

Ulysse et Circé par Jacob Jordaens, vers 1630-1635

Ulysse et Circé par Salomon de Bray, vers 1650-1655

Ulysse et Circé par Jan van Bijlert, XVIIe siècle


D'autres artistes firent référence au porc luxurieux sans passer par la case Homère, se contentant de perpétuer l'esprit des écrits de saint Clément dont il fut question plus haut : le porc est sale, il mange tout et n'importe quoi, se roule dans la fange, pratique la luxure, est l'incarnation du diable. Jérôme Bosch a peint, dans son triptyque du Jardin des délices, un homme enlacé par une truie portant une coiffe en tous points humaine. Choquigne !

Triptyque du Jardin des délices
par Jérôme Bosch, vers 1500

Détail du panneau droit


Plus tard, au XIXe siècle, Félicien Rops utilisera plusieurs fois l'image du cochon associé à la luxure :

La Dame au cochon - Pornokrates
par Félicien Rops, 1879


Et voici une version un peu spéciale, également signée Rops, de la Tentation de saint Antoine. À droite figure un cochon, fidèle compagnon du saint. Et l'on voit par là que l'animal est ambivalent, incarnation de la luxure mais aussi animal totémique parce que antidote idéal contre le "feu de saint Antoine" ou "mal des Ardents" :

La Tentation de saint Antoine
par Félicien Rops, 1878


"L’homme est affreux, le cochon est merveilleux même s’il est un cochon", disait Marcela Iacub, la dame au cochon. De quoi s'y perdre…


L'occasion rêvée de lire ma chronique intitulée Tout est bon dans le cochon! ou presque...

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