Accord Google-éditeurs : la "part d'ombre" (Owni)
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Accord Google-éditeurs : la "part d'ombre" (Owni)

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"la part d'ombre" de l'accord-cadre entre Google et les éditeurs de livres français. Le 11 juin, le monde de l'édition signait avec le géant du net la fin d'hostilités qui duraient depuis six ans (et qui durent encore aux Etats-Unis). Google a désormais le droit de numériser un livre épuisé, de le proposer à la vente, et d'en mettre une partie à disposition gratuitement sur le net. Mais chaque étape sera discutée et validée avec l'éditeur, qui a le droit de tout arrêter, à tout moment.

Un accord raisonnable et intéressant pour les deux parties, donc. Ou presque. Sur Owni, Lionel Maurel, juriste et bibliothécaire, et auteur du blog S.I.L.e.x, consacré aux "transformations du droit à l’heure du numérique", consacre un long article à décortiquer la stratégie des éditeurs français, dans un esprit très critique.

Maurel souligne d'abord que cet accord cadre arrive peu de temps après le vote d'une loi "sur la numérisation des oeuvres indisponibles du XXe siècle”. Nous en parlions ici : il existe en France entre 500 000 et 700 000 livres qui ne sont plus disponibles dans le commerce, sans être encore tombés dans le domaine public (un livre y tombe 70 ans après la mort de son auteur). Il est prévu de dresser un catalogue, mis à jour tous les semestres, de ces œuvres anciennement indisponibles et numérisées. Les ayants droit auront six mois pour manifester leur opposition à la commercialisation en ligne (c'est ce qu'on appelle "l'opt out"), terme au bout duquel le livre sera mis en vente sur internet. L'éditeur et les ayants droit se partageront équitablement les revenus.

Cette loi ne satisfait pas certains auteurs, rassemblés autour d'une pétition initiée par un écrivain de science-fiction, Ayerdahl. Ils rappellent que les éditeurs ne détiennent bien sûr pas les droits numériques des œuvres publiées pendant une bonne partie du XXe siècle, et se désolent que les auteurs ou les ayants droit n'aient pas droit à l'intégralité de l'argent qui en découlera. Mais ces auteurs vivent aussi très mal de ne pas avoir le contrôle moral total sur leur œuvre, et sont donc opposés au système de "l'opt out".

Or, dans l'accord-cadre signé avec Google, les éditeurs ont négocié l'inverse de cette disposition : avec Google, les éditeurs ont obtenu "l'opt in". Ce sont eux qui décideront quels livres seront numérisés. "La loi française, dans l’exposé même de ses motifs, explique qu’il n’était en quelque sorte pas possible de faire autrement que de passer par un opt-out pour introduire un système de gestion collective viable pour les oeuvres orphelines, rappelle Maurel. L’accord-cadre intervenu lundi prouve que c’est absolument faux et que de l’aveu même des éditeurs du SNE et des auteurs de la SGDL, qui ont pourtant fait un lobbying d’enfer pour pousser cette loi, une autre approche était tout à fait possible, plus respectueuse des droits de tous -à commencer par ceux des auteurs – !"


Auteurs moins bien rémunérés ?

Par ailleurs, l'article "salue" l'habileté manœuvrière des éditeurs, qui ont poussé pour que la loi soit adoptée rapidement. L'auteur estime que c'était en fait pour disposer d'un argument imparable de négociation avec Google : "Il est beaucoup plus simple de négocier avec un acteur redoutable comme Google si on peut assurer ses arrières en lui faisant remarquer qu’en cas d’échec des pourparlers, on pourra se tourner vers un dispositif national, financé à grands renforts d’argent de l’Emprunt national pour numériser et exploiter les ouvrages indisponibles, sans avoir besoin des services du moteur de recherche."

Maurel craint aussi que l'accord avec Google vide de son contenu la loi française, et estime donc que les éditeurs français ont réussi à faire triompher leurs intérêts sur les deux tableaux : "Il y a fort peu de chances que la loi sur les indisponibles et l’accord-cadre s’avèrent «complémentaires»,  pour une raison très simple. Si les ouvrages figurent sur des listes permettant à Google de les exploiter commercialement et si les éditeurs récupèrent les fichiers avec la possibilité de les exploiter, par définition, ces livres ne sont PLUS indisponibles. Ils ne peuvent donc plus être inscrits sur la base de données gérée par la BnF, qui constitue la première étape du processus d’opt-out." Les auteurs qui ne souhaitent pas que leurs ouvrages soient numérisés auront toujours du mal à imposer leur choix. Mais au lieu d'être à l'affût des annonces officielles quant au catalogue des œuvres indisponibles, pour ne pas rater le délai de six mois permettant de s'opposer à la numérisation, il leur faudra dans ce cas batailler avec leur éditeur. Ce qui peut être plus compliqué… L'article souligne aussi que si la loi est vidée de son contenu, "il n’en restera en définitive que les vilaines scories juridiques qu’elle a introduites dans le Code", c'est-à-dire justement les atteintes au droit d'auteur.

Mais il y a un autre loup, selon Owni. Si les éditeurs choisissent en masse de passer par Google pour la numérisation, il est probable que les auteurs ou les ayants droit seront moins bien rémunérés : "Dans le dispositif de la loi sur les indisponibles, les sommes doivent être partagées à 50/50 entre l’éditeur et l’auteur (…). Avec l’accord-cadre, ce sera dans la plupart des cas sans doute bien pire encore. En effet, pour pouvoir être en mesure d’exploiter les livres sous forme numérique, les éditeurs font signer aux auteurs des avenants concernant les droits numériques. On sait par exemple que c’estce qu’a dû faire Hachette [PDF] suite à la passation de l’accord en 2010 avec Google. Or il est notoire que les éditeurs dans ce cas font signer des avenants numériques qui maintiennent le taux de rémunération prévu pour le papier (entre 8 et 12% en moyenne). Et beaucoup d’auteurs hélas ont sans doute déjà accepté de tels avenants…"

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