Otages : silence médiatique préférable ?
Brève

Otages : silence médiatique préférable ?

Un an de captivité en Afghanistan pour Hervé Ghesquière et Stéphane Taponier, deux journalistes de France 3 et leurs accompagnateurs, rappelle un spot diffusé sur toutes les chaînes de France Télévisions aujourd'hui. Le Parisien et Libération consacrent leur Une à leur enlèvement, largement médiatisé depuis quelques mois. Mais dans Libé, un ancien otage, David Rohde, journaliste au New York Times, considère que dans son cas, le silence médiatique était préférable.


Libération revient sur la médiatisation progressive de cet enlèvement, et sur les critiques des parents d'un des deux journalistes : la mère et le père de Stéphane Taponier, ont répondu aux questions de l'AFP hier, en critiquant au passage de précédentes promesses de libération prochaine de la part des autorités françaises, qui sont restées sans effet.

 Libération cite aussi Florence Aubenas (aujourd'hui journaliste au Nouvel Observateur), qui avait été otage de janvier à juin 2005 en Irak, alors qu'elle travaillait pour le quotidien : "Et sur l’éternelle question - faut-il ou non faire de la publicité autour des prises d’otages ?-, Aubenas raconte juste : «Une fois, une seule fois, durant ma détention, je l’ai su. C’était à l’occasion d’une vidéo que les preneurs d’otages voulaient faire sur nous. Ils ont allumé la télé derrière moi. Par des coups d’œil, j’ai vu nos noms, le mien, celui d’Hussein [son accompagnateur, également otage] qui défilaient en bas de l’écran. J’ai attrapé cela, au vol, comme une incroyable surprise. Rien qu’en voyant cela, cela m’a donné de l’espoir pour des journées entières.»"

Le dossier de Libération se conclut par l'interview d'un ancien otage, le journaliste américain David Rohde. Et son témoignage va à contre-courant de ce qu'on entend aujourd'hui dans les médias, puisqu'il explique que dans son cas, l'absence de toute publicité sur son enlèvement avait été le bon choix.

Enlevé par des talibans en Afghanistan en novembre 2008, le journaliste du New York Times a réussi à s'échapper le 19 juin 2009. Et c'est seulement à ce moment-là que la nouvelle de son enlèvement a été rendue publique : lorsque Rohde disparaît, ses ravisseurs ont réclamé le silence des médias. Le New York Times a demandé à ses confrères de respecter cet embargo, que personne ne brisera. Pas même Al Jazeera, alors que les talibans ont changé d'avis et ont cherché la médiatisation, en envoyant des vidéos de leur otage à la chaîne arabe d'information.


"David Rohde, reporter au New York Times enlevé par les talibans, s'est échappé vendredi soir et a retrouvé la liberté après plus de sept mois de captivité dans les montagnes à la frontière de l'Afghanistan et du Pakistan
", annonce alors le quotidien.

"«Dès les premiers jours de cette épreuve, l'opinion qui prévaut dans la famille de David, chez les experts dans les affaires d'enlèvement, comme chez les responsables de plusieurs gouvernements que nous avons consultés, est que toute publicité pourrait augmenter le danger pour David et les autres otages», déclare Bill Keller, le rédacteur en chef du Times. «Les ravisseurs ont commencé par dire la même chose. Nous avons décidé de respecter ces avis, comme nous l'avons fait dans d'autres cas d'enlèvements, et de nombreux médias, informés du sort de David ont fait de même. Nous leur en sommes extrêmement reconnaissants.»"

David Rohde avec des Afghans en 2007 : photo à la Une du New York Times du 21 juin 2009.

Aujourd'hui, Rohde explique à Libération que "le silence a aidé, même si ce n’est pas cela qui a permis ma libération" : "Le silence a permis de réduire les attentes de mes ravisseurs. Ils avaient tourné des vidéos de moi et se plaignaient que personne ne les diffuse. Cela semblait les frustrer. Mes kidnappeurs me disaient: «Chaque jour où tu es notre prisonnier, c’est un énorme coup politique pour le gouvernement américain.» Je leur répondais: «Mon enlèvement n’est pas une affaire publique aux Etats-Unis.» (...) La chaîne Al Jazeera a accepté de ne pas diffuser l’information et s’est montrée très coopérative. Il y avait un consensus universel: l’enlèvement est un crime et les journalistes ne doivent pas être utilisés comme outils de propagande."

Le journaliste relativise cependant : "En Irak, il n’a pas empêché la mort de beaucoup d’otages américains… Le silence n’est certainement pas une garantie que tout se passera bien. C’est un pari, face à un crime qui se déroule en temps réel."

picto Fin octobre 2010, Rohde et son épouse ont publié un livre sur cet épisode : "Une corde et une prière."

Le silence sur le cas de Rohde ne signifie pas que les médias américains ont toujours adopté cette attitude. Lorsque qu'une autre journaliste, Jill Kelly, collaboratrice du quotidien Christian Science Monitor de Boston, fut enlevée, en Irak en 2006, le journal essaya de garder le secret mais sans succès. Au bout de deux jours, les autres médias avaient refusé de continuer de se taire, d'autant plus que les ravisseurs diffusaient des vidéos montrant leur otage.

Médiatisation ou pas ? Difficile de trancher estime l'éditorial de Libération : "Stratégie du silence pour ne pas faire monter le prix des enchères ou publicité maximum pour rappeler l’urgence de sauver des vies? L’histoire des prises d’otages et de leurs dénouements démontre qu’il est ridicule d’opposer l’une à l’autre."

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