Corée du Nord : France 24 épingle les "fantasmes médiatiques"
Brève

Corée du Nord : France 24 épingle les "fantasmes médiatiques"

Une introspection comme on en lit peu. Cinq jours après l'annonce (toujours non confirmée, mais largement reprise) de l'exécution du ministre de la Défense nord-coréen, un article publié sur le site de France 24 s'interroge sur la propension des médias occidentaux à relayer sans précautions les informations en provenance de Pyongyang.

Un démontage en règle de la tendance des "médias occidentaux" à relayer les "rumeurs les plus extravagantes", à faire l"impasse sur la vérification des informations" pour satisfaire la "curiosité malsaine des lecteurs fascinés par la dernière dictature stalinienne au monde" : le ton est offensif et, chose rare, il vient d'un média généraliste. L'article publié sur le site de France 24 (et repéré par Acrimed) se fait même volontiers auto-critique : "C'est une sorte de règle journalistique tacite qui ne s’applique qu'à la Corée du Nord. Presque tous les médias occidentaux – et France24 ne fait pas exception – la respectent scrupuleusement : ignorer l'un des fondamentaux de la profession, la vérification de l'information."

Il revient sur l'annonce de l'exécution "au canon anti-aérien" du ministre de la Défense nord-coréen par les services secrets sud-coréens, annonce dans un premier temps relayée sans précautions par la presse– avant de se voir adjoindre quelques conditionnels lorsque ces mêmes services secrets ont indiqué que cette exécution n'était pas confirmée. "Des exemples du même genre se comptent par dizaines", rappelle le site de France 24, citant la chanteuse Hyon Song-Wol (réapparue en mai 2014, alors qu'un quotidien sud-coréen avait annoncé son exécution par le régime en août 2013), ou encore la tante de Kim Jong-un dont l'assassinat, largement relayé dans la presse française en mai 2014, n'a jamais été confirmé.

Pourquoi les journalistes relaient-ils avec si peu de prudence ces annonces, alors qu'"un État comme l’Erythrée, par exemple, tout aussi fermé et violent que Pyongyang, est épargné par ce genre de rumeurs" ? Peut-être car, outre la réalité des purges, la propagande nord-coréenne apparaît volontiers extravagante pour le public occidental : "Si les deux pays sont aussi violents l’un que l’autre, l’Érythrée n’adopte pas le même langage et les mêmes pratiques loufoques que la Corée du Nord. Elle ne menace pas d’envoyer des missiles sur l’Occident", ou de "noyer Séoul dans un océan de flammes", avance l'historien Pierre Rigoulot, interrogé par France 24.

De l'art de la légende

Mais au fait, comment le site internet de France 24 avait-il traité cette information ? D'abord, comme l'écrasante majorité des sites d'info en ligne francophones : en reprenant la dépêche de l'Agence France-Presse sur le sujet, et en la titrant à l'indicatif sans mention de la source, "Corée du Nord: exécution du ministre de la Défense". Plus tard dans la journée, France 24 s'est toutefois distinguée de la plupart des médias francophones en publiant un nouvel article qui précisait dès le titre "selon Séoul"– manière de marquer la distance avec une information non confirmée (ainsi qu'@si vous le racontait ici).

Àsept heures, une "exécution" sans pincettes...

... puis dans la journée, une exécution "selon Séoul"

Le site de France 24 fait également montre de plus de prudence concernant son choix d'image : alors que dans sa première brève, il reprend une photo à la légende manifestement erronée, il utilise dans son second article un portrait du ministre moins sujet au doute. Le problème posé par la première photo ? Sa légende indique : "Un Sud-coréen suit le 13 mai 2015 à Séoul la retransmission télévisée de l'exécution du ministre de la Défense nord-coréen Hyon Yong-Chol".

Photo et légende initialement publiées par le site de France 24
(13 mai 2015)

Cette légende a son importance : l'assassinat du ministre de la Défense, si tant est qu'il ait eu lieu, n'a jamais été retransmis à la télévision. Que nous montre alors cette photo ? Il s'agit plus probablement d'un journal télévisé sud-coréen annonçant l'exécution du ministre nord-coréen– et illustrant cette annonce avec une photo d'archive. Une photo utilisée par Le Monde, qui montre aussi un Sud-coréen devant un écran de télévision, est ainsi légendée : "Séoul, le 13 mai. La télévision sud-coréenne annonce l'exécution du ministre nord-coréen de la défense Hyon Yong-Chol, le 16 avril 2015".

Photo et légende utilisées par Le Monde, qui n'évoquent pas
la "retransmission" de l'exécution à la télévision sud-coréenne, mais "l'annonce"
(13 mai 2015)

L'article publié plus tard dans la journée par France 24 contourne le problème, en utilisant une photo du ministre lui-même lors d'une conférence à Moscou le 16 avril 2015 :

Photo et légende publiées en illustration du second article de France 24
(13 mai 2015)

L'occasion de (re)lire notre article : "Exécution au canon anti-aérien: la Corée du Nord, ce pays où tout peut arriver. Comment une info de troisième main est devenue une certitude pour les medias"

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