Bolloré : l'émission que vous avez failli ne pas voir
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Bolloré : l'émission que vous avez failli ne pas voir

Corruption, bières et lutte contre les clics

"Comme par hasard !" Notre émission sur le groupe Bolloré et ses affaires africaines de la semaine a bien failli ne jamais être diffusée. Pour la première fois (!) depuis la création du site en 2007, les @sinautes auraient été orphelins un vendredi soir. En cause : un grave problème de corruption. Mais pas de valise de billets ni de sommes à multiples zéros transférées sur le compte d’@si. Plutôt un problème technique qui a mobilisé trois journalistes, deux membres de l’équipe technique, une documentaliste… et trois fichiers corrompus, pendant plus de quatre heures trente. Récit d’une "catastrophe" évitée.

Jeudi 18h15, fin du tournage (exceptionnellement avancé) de notre émission de rentrée. Le thème ? Bolloré et ses affaires africaines. Sujet sensible, et plateau compliqué à construire (l’émission et son making of sont disponibles ici). "Une super émission de rentrée", se félicitent Anne-Sophie Jacques et Daniel Schneidermann à la sortie.

Ce qu’ils ne savent pas encore, c’est que notre webmaster, Axel de Velp, rencontre au même moment un problème ennuyeux : impossible de récupérer le fichier vidéo de l’enregistrement de l’émission. Et lorsqu’il arrive finalement à l’ouvrir, il n’y a pas de son. Pour ne rien arranger, le fichier en question est très lourd (20 Go) et le disque dur sur lequel il se trouve ne fonctionne que sur un seul des ordinateurs de la rédaction, qui tourne sur Ubuntu (une distribution Linux). Pour le tester sur un autre PC, et confirmer ou non l’absence de son sur un tournage d’1h36, il faut attendre la fin de la copie du fichier de 20 Go sur notre réseau interne. "Les neuf minutes les plus longues du monde", témoigne aujourd’hui Adèle Bellot, documentaliste encore sous le choc.

"Un souci ?" Dernière minute du transfert, le chef entre en régie. Lorsqu’à la fin du tournage Daniel Schneidermann est revenu du plateau pour trouver la rédaction vide, il s’est douté que quelque chose n’allait pas. "On peut appeler ça un petit problème : on n’a pas de son sur cet enregistrement…" Au même moment, la copie du fichier est enfin terminée. Joie de courte durée : à 26 minutes et 40 secondes précisément, le son se coupe en plein lancement de sujet d’Anne-Sophie Jacques. On en est donc à 1h36 d’émission… avec 1h10 sans son.
- "Au pire on double les invités en essayant de se souvenir de ce qu’ils ont dit…
- Ou alors on sous-titre en lisant sur les lèvres ?" La régie feint de s’amuser, le chef fait la grimace.
Anne-Sophie Jacques tente ensuite de prendre la température de la régie :
- "Vous êtes inquiets ?
- Disons que sur une échelle de 1 à 10, là je suis à 12.
- Mais c'est hyper haut ça !"

Une émission sans son, ça donne ça

Heureusement, par précaution élémentaire, trois ordinateurs différents enregistrent chacune de nos émissions. Il suffit donc d’aller vérifier que le problème ne se répète pas dans les deux autres fichiers. Problème : sur les deux autres fichiers disponibles, l’un fait...0 ko. L’enregistrement a donc planté (à cause du logiciel ou de l’ordinateur, difficile à dire). Reste donc un fichier, sur lequel repose tous les espoirs. 19 Go cette fois.

Fichier corrompu (jusqu'à l'os)

22 minutes de copie plus tard, le fichier est impossible à ouvrir. On a affaire à un "fichier corrompu", c’est-à-dire qu’il contient a priori la plupart des données auxquelles nous voulons accéder (son et vidéo) mais que sa structure est mauvaise. Cela arrive notamment, et c’est donc notre hypothèse, lorsque le fichier est mal "clôturé" : pour une raison inconnue, l’enregistreur a mal finalisé le fichier, qui ne comporte donc pas les métadonnées nécessaires à sa lecture. Pour faire simple, le fichier doit normalement comporter quelques informations de base (le matériel utilisé pour l’enregistrement, le format de la vidéo etc.) pour permettre au logiciel de lecture de s’y retrouver. Et ici, visiblement, ce n’est pas le cas.

Une heure après la fin de l’émission, on se retrouve donc avec trois fichiers : un totalement inutilisable, un corrompu, et un dans lequel manque 1h10 de son. Un coup de malchance à trois bandes ? Un sabotage des équipes de Bolloré ? Pas forcément. Seul un unique problème technique peut expliquer que les trois enregistrements nous lâchent. Ici, un petit point s'impose sur l’installation d’@si (Made in Notre grand chef de toutes les bidouilles et de tout le reste, François Rose®‎), grâce à laquelle nous enregistrons nos émissions.

Le flux vidéo de nos cinq caméras ainsi que le son des cinq micros (HF cravate, pour les connaisseurs) arrivent dans un "mélangeur" (un Sony Anycast). Celui-ci permet de réaliser l’émission en direct (choix des plans et des caméras utilisées) et envoie l’image et le son (ce dernier géré par une console de mixage pilotée par un ingénieur du son) vers un disque dur et deux autres PC qui créent leur propre fichier. Comme tout passe par l’Anycast, un problème matériel à ce niveau pourrait expliquer des erreurs sur tous les enregistrements.

L'Anycast coupable (à gauche, le disque dur d'enregistrement et la manette qui sert à diriger les caméras )

"on va vous chercher des bières, on sert à rien ici"

Reste à trouver une solution, même si la possibilité que ce soit foutu commence à être sérieusement évoquée. "Nous on va vous chercher des bières, on sert à rien ici", proposent à 19h30 Robin Andraca et Adèle Bellot, un peu moins calés en technique. Le reste des troupes prépare le plan de bataille (en lien téléphonique de crise avec François Rose, réquisitionné pendant ses vacances). Objectif : réparer le fichier corrompu, en espérant qu’il contienne bien la piste audio intégrale.

Sur le marché, un certain nombre de logiciels proposent de "réparer" automatiquement des fichiers vidéo corrompus, en tentant de reconstituer les métadonnées et d’éventuelles données manquantes. Après avoir copié le fichier corrompu sur plusieurs PC pour essayer plusieurs logiciels différents, on les laisse mouliner. Peine perdue : soit les logiciels n’acceptent pas les fichiers supérieurs à 2 Go (et le nôtre en fait 19), soit ils échouent au bout de quelques dizaines de minutes.

Les dernières solutions sont plus "artisanales". Un script amateur permet de récupérer les métadonnées d’un fichier "sain" (une ancienne émission d’@si dans notre cas) pour les réinjecter dans le fichier corrompu. Après quelques tâtonnements (le logiciel ne tourne que sur Linux et il ne dispose pas d’interface graphique, il faut donc tout faire en lignes de commande), le script refuse finalement de traiter nos deux vidéos.

Dernier espoir : y aller à la main. C’est-à-dire ouvrir les fichiers vidéo avec un éditeur hexadécimal (qui permet d’afficher et de modifier les données de n’importe quel fichier en mode texte). Problème : ni Axel, webmaster, ni Sébastien Rochat ou moi-même, humbles journalistes, ni même François Rose (c'est dire !) n’en sommes capables. Il nous faudrait un ingénieur informaticien spécialisé. Ou apprendre les bases de l’édition en hexadécimal d’ici le lendemain. Un peu juste.

Pour info, un éditeur hexa, ça ressemble à ça

Il est maintenant 22 heures et on se prépare à passer un dernier coup de fil au chef, rentré chez lui entre temps -pour prendre l'indispensable recul sur l'événement, bien entendu- pour lui annoncer la nouvelle : pour la première fois en sept ans, il n’y aura pas d’émission sur le site, le vendredi 21 août 2015. Ou alors, une émission semi-muette.

"Il suffisait que j'arrive..."

Mais au fait, le premier fichier ? Et si le son n’était en fait pas totalement coupé à 26 minutes, mais lui aussi simplement "corrompu" ? L’Anycast a peut-être bien reçu l’intégralité du son mais pourrait avoir "mal" écrit une partie. Il est peut-être possible de la récupérer. Je propose d’essayer d’extraire puis de réparer la piste audio intégrale de ce fichier. "Tu peux essayer ça en dernier ressort, mais c’est vraiment hasardeux…", hésite François. C’est parti. Grosse déception : le logiciel de conversion, pourtant particulièrement puissant et bien nommé "Super", s’y casse les dents. Adobe Media Encoder refuse également de toucher au fichier. Foutu pour foutu, on lance un petit utilitaire au nom qui sent bon l’arnaque : "4Musics AVI to MP3 Converter".

"Bah alors, on n’enregistre plus les émissions ?" 22h25 : arrivée de François Rose, qui fait mine de prendre les manettes. "Chut François, attends deux secondes". "4Musics" a terminé de mouliner, et miracle un fichier son MP3 en est sorti. Surtout, à 26 minutes, le son de l’émission continue, certes fortement dégradé par des "clics" répétitifs particulièrement pénibles. On crie de joie, on se tape les mains et le torse en régie pour fêter cette première victoire. François jubile : "Il suffisait que j’arrive…"

"4Musics" : le logiciel qui nous a sauvé la mise. Nous ne jugerons plus jamais un logiciel au design (foireux) de son site.

Le temps de prévenir le chef que tout n’est peut-être pas foutu, et on se met à travailler sur les bruits de "clic". Petit moment d’extase lorsqu’on découvre un menu (littéralement) appelé "Suppression automatique des bruits de clic" dans le logiciel Adobe Audition. Il suffit d’appliquer l’effet, d’attendre quelques minutes. Le résultat est impeccable. 22h45, il est l’heure de partir. On aura une émission de rentrée. Avec le son.

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